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Chevalier cuivré
Chevalier cuivré. © MELCCFP.

Pleins feux sur… le chevalier cuivré : portrait d’une espèce « en danger »

Je suis le chevalier cuivré (Moxostoma hubbsi)! Non, je n’ai jamais vaincu de dragon…
En fait, j’aurais bien des difficultés puisque je suis un poisson! Hélas, tels les chevaliers de l’époque médiévale, je risque de disparaître! Je lutte actuellement pour assurer la survie de mon espèce. Heureusement, j’ai des alliés qui me donnent un coup de main! Pour en savoir plus, poursuis ta lecture…

Une bouche parfaitement adaptée à la recherche de mollusques

Ce serait Pierre-Étienne Fortin qui aurait relevé ma présence au Québec pour la première fois en 1866. Toutefois, je n’ai été formellement identifié qu’en 1942 par Vianney Legendre. Je passerai sous silence tous les débats qui ont entouré ma découverte. Aujourd’hui, on me reconnaît officiellement sous le nom scientifique de Moxostoma hubbsi. Moxostoma est une allusion à mes grosses lèvres charnues et hubbsi fait référence à un éminent taxinomiste de l’Université du Michigan, M. Hubbs.

Les dents pharyngiennes.

Les dents pharyngiennes. © MELCCFP.

Je suis un membre de la famille des catostomidés. On nous reconnaît à notre bouche, dépourvue de dents, située sous le museau. Celle-ci s’allonge vers l’avant et agit comme une ventouse. Mon espèce s’alimente sur le fond du fleuve et des rivières. On dit de moi que je suis un poisson spécialiste. Je suis une véritable machine à broyer les coquilles des escargots et des moules dont je me nourris presque exclusivement. Comment je réussis ce tour de force sans avoir de dents dans la bouche?

C’est que je possède une structure dans la gorge qui remplit la même fonction : « l’appareil pharyngien ». Il s’agit d’une pièce osseuse rattachée au crâne, munie de deux arcs portant entre 12 et 18 dents, dont certaines ressemblent à vos molaires. La forme des arcs ainsi que le nombre et le dessin des dents diffèrent d’une espèce de chevaliers à l’autre. Moi, je possède le plus gros appareil pharyngien de la famille.

Un corps recouvert d’une armure cuivrée

Le chevalier cuivré.

Le chevalier cuivré. © MELCCFP.

Je porte le titre de chevalier, car tout comme lui, j’ai le corps recouvert d’une armure. Je suis pourvu de grosses écailles dont la coloration va du cuivre lustré au vert olive. Mes nageoires, qui ont la même couleur, peuvent présenter des teintes bistrées (brun jaunâtre). Les écailles de mon ventre sont pâles, souvent blanchâtres. J’ai un corps comprimé sur les côtés, et la nageoire au bout de ma queue est large et fourchue. J’ai une tête courte et un dos très bombé, ce qui me donne l’apparence d’un bossu… d’un chevalier bossu!

De tous les chevaliers (Moxostoma) – nous sommes cinq espèces au Québec –, je suis le plus des plus! C’est moi qui suis le plus grand, le plus fécond, celui qui vit le plus longtemps, qui fraye le plus tard dans la saison et à un âge plus avancé que les autres. Ah oui! Et je suis naturellement le plus beau.

Je peux atteindre plus de 70 cm de longueur et peser près de 6 kg. En général, ce sont les femelles les plus costaudes. Elles pondent près de 20 000 œufs par kilogramme de poids corporel. Faites le calcul. Je ne me reproduis pas avant l’âge de dix ans, mais en revanche je vis plus de trente ans!

La rivière Richelieu est essentielle au cycle vital du chevalier cuivré

J’habite le fleuve Saint-Laurent, entre le lac Saint-Louis et le lac Saint-Pierre, ainsi que certaines rivières : la rivière Richelieu et celle des Mille-Îles ainsi que celles des Prairies, Maskinongé et L’Acadie. Ces milieux m’attirent parce que le courant n’est pas trop fort et que l’eau y est chaude.

Les rapides de Chambly.

Les rapides de Chambly. © Simon Pierre Barette.

La rivière Richelieu est très spéciale, car elle joue un rôle crucial dans mon cycle vital. Pour l’instant, les biologistes y ont découvert seulement deux frayères où je me reproduis en eau vive. L’une est située au pied du barrage de Saint-Ours et l’autre, en amont, dans les rapides de Chambly. J’y trouve un fond de gravier fin et de roches pour y déposer mes œufs.

La ponte se déroule à la fin de juin ou au début de juillet, à peu près entre la Saint-Jean-Baptiste et la fête du Canada. À ce moment, la température de l’eau varie de 18 à 26 °C. Les œufs mettent entre quatre et sept jours pour éclore. Après l’éclosion, les larves survivent grâce à leur sac vitellin, une véritable boîte à lunch. Elles demeurent dans le gravier une dizaine de jours, puis c’est le grand départ. Au début, elles se laissent dériver passivement dans le courant, avant de commencer à nager peu à peu, à mesure que leurs nageoires se développent. Elles s’installent dans les herbiers, ces aires d’alevinage qui ressemblent à de véritables pouponnières. Je dirais même à des garderies, car mes larves se mêlent à celles des autres espèces de chevaliers.

Lorsque leurs nageoires et leurs écailles sont pleinement développées, on appelle les larves des juvéniles. Malgré leur air de poisson adulte, ils ne sont pas encore en âge de se reproduire.

Le chevalier cuivré est le plus rare des chevaliers au Québec

Chercheur manipulant un chevalier cuivré.

Chercheur manipulant un chevalier cuivré. © MELCCFP.

Roi des superlatifs, je suis également le plus rare des chevaliers malgré ma fécondité légendaire. En 1999, j’ai été la première espèce à recevoir le statut d’espèce faunique menacée, en vertu de la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables du Québec.

J’ai fait l’objet de plusieurs plans de rétablissement, mais je ne suis pas encore sorti du bois! Mon alimentation particulière, mon territoire vital très restreint et une maturité sexuelle à un âge avancé font que je suis sensible et très fragile. Je m’adapte difficilement aux changements rapides alors que mon habitat, lui, se dégrade à la vitesse grand V.

Plusieurs menaces guettent la population de chevaliers cuivrés

Je vis dans la région la plus densément peuplée du Québec. Je fais face à la fragmentation de mon habitat par les barrages. Bien difficile de circuler librement dans l’eau avec la crainte de prendre une structure de béton en plein museau. Sans parler du déboisement causé par l’étalement urbain et de l’expansion des terres agricoles. Que dire aussi de la dégradation et de la destruction des herbiers aquatiques et des bandes riveraines? La végétation aquatique est importante pour moi parce qu’elle me permet de me cacher des prédateurs et de me nourrir là où mes proies se reproduisent en grand nombre. La bande de végétation en bordure des rives est tout aussi indispensable à ma survie qu’elle l’est à la santé des cours d’eau. Les plantes stabilisent le sol, créent de l’ombre, des cachettes, en plus d’avoir un effet sur la température de l’eau. Une rivière, c’est beaucoup plus que l’eau qui y coule. Et une rivière sans bande riveraine, c’est comme un arbre sans écorce… Sans cette bande, les particules fines du sol, les sédiments, glissent dans l’eau la rendant moins claire. Cela a un impact direct sur les mollusques qui filtrent l’eau pour se nourrir et, par le fait même, j’en suis affecté.

Aire de répartition du chevalier cuivré.

Aire de répartition du chevalier cuivré. © Pêches et Océans Canada.

De plus, je me reproduis au début de l’été, au moment où les cours d’eau sont en étiage, c’est-à-dire à leur plus bas niveau, et que l’épandage des pesticides bat son plein dans les champs. Les produits chimiques peuvent nuire de plusieurs façons à la capacité des adultes de se reproduire et peut-être même diminuer le taux de survie des œufs et des jeunes larves. Rappelez-vous, je suis le chevalier qui se reproduit le plus tardivement, donc… mes larves n’ont pas beaucoup de temps pour grandir, elles sont plus petites que les autres. Elles ont besoin d’un milieu sain sans trop de dérangements pour se développer et faire des réserves avant le premier hiver. Malheureusement pour nous, les activités nautiques sont de plus en plus nombreuses. Les étés chauds attirent les gens vers les plans d’eau, juste au moment où nous nous dirigeons vers les sites de fraye et de croissance.

De nombreuses mesures sont déployées pour le protéger

Les reproducteurs ont beau faire leur boulot, ils sont tellement rares qu’ils ne parviennent pas à assurer la relève. Pour soutenir notre population, c’est-à-dire pour remplacer les adultes vieillissants, j’ai besoin d’un coup de pouce. Heureusement, de nombreuses activités de communication et de sensibilisation ont été entreprises pour faire connaître ma situation, parce que je suis de plus en plus populaire : conférences, dépliants, animation. Voici quelques exemples des mesures qui ont été prises pour me protéger.

1995 : La pêche commerciale au chevalier cuivré et au chevalier de rivière est interdite.

Passe migratoire de Vianney-Legendre.

Passe migratoire de Vianney-Legendre. © Parcs Canada.

1998 : La pêche sportive aux chevaliers et aux meuniers est interdite dans les rivières Richelieu, Noire, Yamaska et des Mille-Îles, et cette interdiction a été étendue à la plus grande partie de mon aire de répartition depuis 2009.

2001 : La passe migratoire multiespèces Vianney-Legendre est construite sur la rivière Richelieu. Elle me permet enfin de franchir l’obstacle que représente le barrage de Saint-Ours et d’accéder au site de fraye des rapides de Chambly.

2002 : Le refuge faunique Pierre-Étienne-Fortin est créé afin de protéger notre plus importante frayère sur la rivière Richelieu, située dans les rapides de Chambly.

2006 et 2009 : L’organisme Conservation de la nature Canada fait l’acquisition de l’île de Jeannotte et de l’île aux Cerfs, situées dans la rivière Richelieu. Le but est de protéger les herbiers aquatiques qui les entourent et qui sont essentiels à la croissance des juvéniles.

Reproduction artificielle du chevalier cuivré - Incubation des œufs.

Reproduction artificielle du chevalier cuivré – Incubation des œufs. © MELCCFP.

2004 : Un programme de reproduction artificielle débute. Voilà le coup de pouce dont je parlais! Le but : reconstituer le stock d’adultes reproducteurs dans la rivière Richelieu afin de permettre le maintien de la population à long terme.

La technique est simple. On capture les chevaliers cuivrés au niveau de la passe migratoire. On les garde quelque temps en captivité le temps de prélever leurs cellules reproductives (les ovocytes chez les femelles et la laitance chez les mâles). En fécondant les ovocytes avec de la laitance, on obtient des œufs. Ces œufs sont ensuite envoyés à la station piscicole gouvernementale de Baldwin-Coaticook où ils sont incubés et élevés. Les larves et les juvéniles (fretins) sont ensuite relâchés dans les aires d’alevinage de la rivière Richelieu dans les semaines qui suivent.

Au fil des ans, on a constaté que le nombre de mâles capturés pouvait fluctuer. Afin de s’assurer que la matière première ne manque pas, de la laitance de chevalier cuivré a été congelée afin d’être utilisée dans les années suivantes. On appelle cette technique la cryopréservation de la laitance. Cette technique permet aussi d’obtenir de meilleurs croisements génétiques lorsque les mâles sont plus rares au moment des captures.

Jeune chevalier cuivré relâché dans les aires d’alevinage de la rivière Richelieu.

Jeune chevalier cuivré relâché dans les aires d’alevinage de la rivière Richelieu. © MELCCFP.

Ce programme d’aide à la reproduction se poursuit encore aujourd’hui. Depuis 2015, on commence à voir de jeunes chevaliers cuivrés dans les captures. C’est encourageant!

Comme vous pouvez le constater, on prend grand soin de moi. Les efforts de conservation, tels que le programme d’aide à la reproduction et la protection de mon habitat, doivent se poursuivre. Tel un chevalier, ma quête n’est pas terminée. C’est une histoire à suivre… et vous en faites partie.

Il paraît que…

  • Le chevalier cuivré est un poisson qui vit seulement au Québec. On ne le trouve nulle part ailleurs au monde!
  • Le chevalier cuivré est une espèce désignée menacée en vertu de la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables du Québec.
  • Le chevalier cuivré est une espèce désignée en voie de disparition en vertu de la Loi sur les espèces en péril du Canada.
  • Tous les spécimens du fleuve Saint-Laurent et de ses tributaires appartiennent à une seule et même population.
  • Le chevalier cuivré est un grand migrateur. Certains individus peuvent parcourir jusqu’à 120 km en cinq jours!

Pour en savoir plus…

Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP)

Comité de concertation et de valorisation du bassin de la rivière Richelieu (COVABAR)

Radio-Canada