Pleins feux sur… la reproduction chez les mulettes
Pour attirer l’attention d’un partenaire, on est prêt à faire des pieds et des mains. Les mulettes, elles, ont développé une technique de séduction incroyable pour charmer des poissons qui joueront, bien malgré eux, le rôle de « mère porteuse »! Allons découvrir l’histoire des relations amoureuses des mulettes, véritables coquettes des eaux douces!
Présentation officielle des mulettes!
Vous avez peut-être déjà mangé des moules et des frites au resto? Sachez que ces moules sont des moules d’eau salée qui sont généralement cultivées. Ces moules sont fort différentes des mulettes ou moules d’eau douce qui, elles, ont besoin d’un poisson pour compléter leur cycle de reproduction. Autre distinction : la cueillette des mulettes est interdite.
Qu’elles vivent en eau douce ou en eau salée, toutes ces moules sont des mollusques, car ce sont des animaux au corps mou. Mollusques vient du latin molluscus, qui veut dire mou. Leurs deux coquilles, appelées valves, en font des représentantes de la classe des bivalves. Au Québec, il y a cinq familles de bivalves. Les mulettes se retrouvent dans deux familles : les margaritiféridés qui comptent une seule espèce chez nous, soit la mulette-perlière de l’Est (Margaritifera margaritifera), et 20 espèces dans la famille des unionidés pour un total de 21 espèces dans nos eaux. Les mulettes sont des moules de grande taille, dont la majorité des espèces vivent plusieurs dizaines d’années, et, le plus remarquable, elles ont un cycle de reproduction unique!
Une petite leçon d’anatomie
Voilà pour les présentations générales, mais avant d’aller plus loin, une petite leçon d’anatomie s’impose. Vue de l’extérieur, toutes les moules ont deux coquilles de tailles, de formes, d’épaisseurs et de couleurs variées. On distingue le sommet, ou umbo, qui correspond au point où la croissance de la jeune moule a débuté. De là s’étendent des anneaux, des cercles qui se forment chaque année de croissance. Un ligament élastique sert de charnière et permet d’écarter cette double coquille qui, autrement, est maintenue fermée par des muscles. Chez les mulettes, l’extérieur de la coquille est composé principalement de cristaux de calcite. Il est recouvert d’une matière riche en protéine et imperméable à l’eau nommée « périostracum ». La coquille est produite par le manteau, une fine membrane qui enveloppe également les organes.
Le manteau produit aussi la nacre, cette matière brillante qui couvre l’intérieur des coquilles. La nacre est composée de cristaux d’aragonite. Sa coloration varie d’une espèce à l’autre. Sur la face interne de la coquille, on peut voir les cicatrices produites par les puissants muscles et des structures appelées des dents qui servent à maintenir les coquilles parfaitement emboitées. Ces dents comptent parmi les critères utilisés pour identifier les espèces.
Les mulettes sont des usines à filtration
Les moules sont de véritables usines de filtration ultraperformantes. Elles sont pourvues de deux siphons, un pour aspirer (le siphon inhalant) et l’autre pour rejeter l’eau (le siphon exhalant). Les siphons sont issus du manteau. L’eau aspirée est dirigée vers leurs branchies.
L’oxygène dissous dans l’eau est utilisé pour la respiration. Les particules en suspension dans l’eau sont retenues par de nombreux cils et le mucus couvrant les branchies. Cette nourriture est ensuite dirigée vers la bouche et le système digestif. Le surplus d’eau et les déchets sont évacués par le siphon exhalant. Les principales sources de nourriture sont les bactéries, le phytoplancton, les détritus, la matière organique et certains protozoaires.
Les mulettes possèdent également un pied qui est un muscle puissant. Elles l’utilisent pour se déplacer à l’horizontale dans le fond des cours d’eau, pour s’enfouir plus ou moins profondément dans le substrat lorsque la température de l’eau diminue et pour se maintenir fermement en place dans le lit des plans d’eau. Adultes, elles sont plutôt sédentaires, mais certaines espèces peuvent parcourir quelques mètres par jour selon la nature du fond (sablonneux ou rocailleux).
Chez les mulettes, en plus de servir à respirer et à se nourrir, les branchies sont impliquées dans la reproduction!
Les mulettes se reproduisent… à distance
Chez la plupart des mulettes, les sexes sont séparés, mais il y a des mulettes qui ont les deux sexes ou même qui peuvent changer de sexe au besoin! Généralement, les mâles et les femelles sont identiques, mais environ 20 % de nos espèces présentent un dimorphisme sexuel, c’est-à-dire que l’on peut différencier les mâles des femelles par l’apparence des coquilles.
Mais comment faire pour rejoindre l’autre sexe quand on a du mal à se déplacer? En fait, il n’y a pas vraiment de cour entre les deux sexes et tout se fait à distance. Au moment voulu, le mâle libère simplement ses spermatozoïdes dans l’eau. Ils sont captés par la femelle à l’aide de son siphon. Les œufs de la femelle se développent pour former des larves appelées glochidiums ou glochidies. Pour voir les glochidiums en mouvement, visionnez cette vidéo.
Toutes ces larves sont contenues dans une sorte de chambre appelée le marsupium, située dans ses branchies. Hé oui, c’est le même mot que la poche des kangourous! Les glochidiums occupent le marsupium de quelques semaines à près de 10 mois, selon les espèces.
Les larves de mulettes ont besoin d’un poisson pour poursuivre leur développement
Pour passer au stade juvénile, les glochidiums doivent absolument se fixer sur un poisson. À chaque espèce de mulettes son poisson! Elles ne s’attachent pas au premier venu! Ainsi, l’obovarie olivâtre (Obovaria olivaria), une espèce de mulettes que l’on trouve au Québec, serait intimement liée à l’esturgeon jaune (Acipenser fulvescens). D’autres sont tout de même plus généralistes et peuvent s’accommoder de plusieurs espèces de poissons de différentes familles.
En général, les larves munies de crochets se fixent sur les nageoires et celles qui en sont dépourvues se réfugient dans les branchies. Si les larves ne parviennent pas à se fixer, elles tombent au fond de l’eau ou sont emportées par le courant. Si elles ne rencontrent pas de poisson hôte compatible, elles meurent.
Les mulettes ont développé des stratégies de séduction pour attirer leur hôte. Il y a celles qui imitent l’apparence d’un poisson. Dans la vidéo, on aperçoit Hamiota perovalis. Cette espèce vit dans deux États du sud des États-Unis : l’Alabama et le Mississippi. Elle pousse la supercherie à l’extrême en produisant un filet de mucus au bout duquel se trouve un super paquet de glochidiums. Le tout a vraiment l’air d’un poisson qui s’agite dans le courant. C’est à s’y méprendre!
Dans nos eaux, on peut trouver la lampsile cordiforme (Lampsilis cardium) qui utilise une stratégie semblable. Une partie du manteau de la femelle se modifie temporairement en un leurre imitant la forme d’un poisson (proie) afin d’attirer un poisson (prédateur) et de relâcher ses larves pour qu’elles puissent parasiter ce poisson. Dans la vidéo, on la voit qui libère non pas des larves, mais plutôt des pseudofèces.Pseudofèces : Particules aspirées par la mulette lors de la filtration, mais qui sont expulsées avant d’être ingérées par la bouche. Ce sont donc de « faux excréments ».
Il y a des mulettes du genre Epioblasma qui capturent littéralement le poisson hôte et le retiennent prisonnier pendant un certain temps! On les appelle des « fish snapper » en anglais et elles portent bien leur nom : à vous de juger! Dans la vidéo, on peut voir une épioblasme ventrue (Epioblasma rangiana) capturer un dard. La femelle expose une masse blanche pour attirer le poisson qui, une fois approché, voit les coquilles se refermer sur lui. Le poisson est retenu ainsi par la tête et la mulette lui pompe littéralement des larves dans la bouche. Il ne resterait peut-être plus que quatre populations au monde de cette espèce, dont deux sont en Ontario.
C’est une question de vie ou de mort; le poisson qui passe doit être de la bonne espèce sinon les larves vont mourir. Le développement des larves dure plusieurs mois. Une fois devenues des juvéniles, des mulettes miniatures, elles se laissent tomber au fond de l’eau pour commencer leur nouvelle vie. Les mulettes dépendent de leurs poissons hôtes pour se disperser et coloniser de nouveaux espaces. Une fois que les larves quittent le corps du poisson, les conditions du milieu doivent tout de même leur convenir afin qu’elles puissent poursuivre leur développement.
Il semble que les poissons ne soient pas trop incommodés par leur rôle de mère porteuse! Certains développent toutefois des mécanismes de défense et peuvent rejeter les larves. Malgré les millions de larves qui auront été projetés hors du corps de la mulette, en moyenne moins de quatre d’entre elles trouveront refuge dans les branchies.
Les relations entre les mulettes et leurs poissons hôtes sont complexes et encore mal connues. Les scientifiques poursuivent leur recherche pour découvrir les secrets de la séduction de ces mollusques qui n’ont pas fini de nous surprendre! Il faut faire vite, car plusieurs espèces sont malheureusement en danger de disparition. Consulte la capsule Pleins feux sur… les moules d’eau douce: portraits d’espèces « en danger » pour en apprendre plus sur le sujet.
Il paraît que…
- Le Québec compte 21 espèces de mulettes.
- Huit espèces de mulettes figurent sur la liste des espèces susceptibles d’être désignées comme menacées ou vulnérables.
- La malacologie est la science qui étudie les mollusques.
- Unio veut dire perle en latin.