Crabe chinois à mitaines (Eriocheir sinensis)
Statut de l’espèce
Espèce exotique préoccupante et présente au Québec
Description
Le crabe chinois à mitaines est un crustacé appartenant à la famille des Varunidés. Ses pinces, blanches aux extrémités, ont la particularité d’être couvertes de poils brunâtres, denses et duveteux. Cette caractéristique particulière lui donne l’air de porter des mitaines, d’où l’origine de son nom. Les pinces sont toutes deux de taille égale et sont plus développées chez le mâle que chez la femelle. Par contre, les deux sexes sont de taille similaire, laquelle varie de 3 à 8 cm de longueur. La forme de l’abdomen peut permettre de distinguer le mâle de la femelle chez les individus dont la carapace a atteint au moins 1 à 2 cm de largeur. L’abdomen de la femelle est rond et occupe la majeure partie du thorax, tandis que celui du mâle est étroit et en forme de « V ». Les adultes ont une carapace brune, tirant sur le vert, tandis que celle des juvéniles est plutôt d’un jaune brunâtre. La carapace prend une forme presque carrée chez les adultes, légèrement plus large que longue. Elle est entaillée entre les yeux et quatre épines jaillissent de chaque côté. La longueur des pattes fait deux fois la largeur de la carapace.
Espèces similaires
Aucune espèce indigène de crabe au Québec n’a de poils sur les pinces, ce qui rend l’identification du crabe chinois à mitaines très facile. Il existe trois espèces semblables au crabe chinois à mitaines, toutes vivant en Asie.
Habitat
Le crabe chinois à mitaines est une espèce catadrome, c’est-à-dire qu’elle vit en eau douce et se reproduit en eau salée. Les besoins en habitat du crabe chinois à mitaines varient en fonction de son stade de développement. On trouve le crabe chinois à mitaines jusqu’à une dizaine de mètres de profondeur, en eau douce et saumâtre, dans les estuaires, les lacs, les rivières et les autres zones humides. À partir du stade juvénile, il tolère une grande variété de températures et de salinités et survit très bien dans des environnements hautement perturbés et pollués. La pollution de l’eau peut même être bénéfique pour le crabe chinois à mitaines au stade juvénile en réduisant l’abondance de poissons qui comptent parmi ses prédateurs.
Les habitats favorables à l’établissement de l’espèce sont caractérisés par de grandes zones d’eau saumâtre nécessaires au développement des embryons et des larves, et une grande proportion d’eau productive de faible profondeur pour la croissance des juvéniles. On trouve ces derniers principalement dans les affluents soumis à l’influence de la marée et en eau douce. Les larves utilisent les eaux libres des baies et des estuaires, où elles se nourrissent de phytoplancton et de zooplancton. Les juvéniles creuseront des tunnels dans les berges pour se protéger des prédateurs, ce qui peut créer de l’érosion et altérer la qualité de l’habitat pour les poissons.
Les crabes chinois à mitaines peuvent vivre dans les eaux froides du Québec au stade adulte, mais leurs larves ont besoin d’une eau dont la température se situe de 15 à 25 °C. La température de l’eau dans l’estuaire du Saint-Laurent ne dépasse généralement pas 15 °C, et ce, qu’un mois par année ou moins, ce qui pourrait être insuffisant pour le développement des larves. Par contre, les changements climatiques prolongeront les saisons de croissances pour les larves, ce qui augmentera leur taux de survie.
Reproduction et croissance
La majeure partie de la vie du crabe chinois à mitaines se déroule en eau douce ou saumâtre. À l’automne, les adultes entament leur migration vers les eaux saumâtres ou salées pour s’y reproduire, en parcourant de 8 à 12 km par jour. C’est au cours de cette période que la plupart des crabes sont pêchés. L’appariement aurait lieu en eau saumâtre à la fin de l’automne ou au début de l’hiver. Les œufs sont pondus généralement dans les 24 heures suivant l’accouplement. Les femelles peuvent pondre de 250 000 à 1 million d’œufs. Une fois expulsés, les œufs sont fixés aux poils fins situés sur les pléopodes (pattes jointes à l’abdomen) de la femelle, sous son repli abdominal, à l’aide d’une substance semblable à du ciment. Cette substance se solidifie avec la salinité de l’eau, ce qui explique pourquoi l’accouplement et la ponte des œufs ont lieu dans les environnements saumâtres où l’eau atteint le taux de salinité requis. La période d’éclosion peut s’étirer sur quelques mois, selon les conditions environnementales. Les femelles meurent presque toujours après s’être reproduites.
Avant d’atteindre le stade adulte, les larves traversent une série de stades de développement (sept à huit stades) en milieu marin avant de se métamorphoser en juvénile. À ce stade, les crabes délaissent leur mode de vie pélagique (dans la colonne d’eau) et commencent à exploiter le fond de l’eau (mode de vie benthique). Vers la fin de l’été ou au début de l’automne, les jeunes crabes entreprennent leur migration active et remontent les rivières pour achever leur cycle de vie dans l’eau douce. Un crabe chinois à mitaines peut migrer en eau douce sur plus de 500 km avant de s’établir.
Historique de l’introduction et principaux vecteurs de propagation
Le crabe chinois à mitaines est originaire de la mer Jaune, plus précisément entre la Chine et la Corée. L’espèce a été introduite en Europe en 1912 par la rivière Aller, en Allemagne, pour ensuite se propager en Europe de l’Ouest où elle est maintenant bien établie jusqu’en Espagne. Elle s’est également répandue vers l’est, jusqu’en Russie.
Aucune espèce de crabe d’eau douce n’existait en Amérique du Nord avant qu’elle n’y soit introduite. En 1965, un premier individu a été capturé dans les eaux canadiennes, plus précisément dans la rivière Détroit qui conduit directement au lac Érié dans les Grands Lacs. Il se peut que l’espèce ait été introduite accidentellement au Canada par l’intermédiaire des activités de navigation commerciale (eaux de ballast des navires) ou intentionnellement par l’industrie des fruits de mer vivants. En effet, cette espèce est considérée comme un aliment fin en cuisine asiatique. Il est à noter qu’il est illégal d’importer ce crabe.
L’espèce ne s’est cependant jamais établie dans les Grands Lacs, probablement parce qu’une partie de son cycle vital doit se passer en eau salée (espèce catadrome). Malgré cela, au moins 17 crabes y ont été pêchés depuis ce temps. Le déversement des eaux de ballast des navires est désigné comme la cause la plus probable pouvant expliquer ces introductions dans les Grands Lacs. Au Québec, l’espèce a été recensée pour la première fois en 2004, dans le fleuve Saint-Laurent, près de la ville de Québec. Depuis, huit autres individus ont été capturés entre le lac Saint-Pierre, situé environ 150 km en amont de la ville de Québec, et Kamouraska, à environ 130 km en aval, dans l’estuaire.
À la suite de son introduction et de son établissement dans un nouvel habitat, le crabe chinois à mitaines peut utiliser deux moyens efficaces pour se propager dans les eaux environnantes, soit le transport de ses larves ou la migration des juvéniles. À partir de l’eau saumâtre où elles sont nées, les larves peuvent dériver longtemps le long des régions côtières avant de s’installer dans un nouvel habitat. Lors de la migration, les juvéniles peuvent remonter les rivières sur de longues distances, ce qui permet à l’espèce de coloniser de nouveaux réseaux hydrographiques situés à proximité de sa population mère. C’est ainsi que l’espèce se serait répandue dans le nord de l’Europe au cours du XXe siècle. En effet, ce crabe peut parcourir des centaines de kilomètres en empruntant les voies navigables intérieures et peut se reproduire très rapidement.
Distribution connue
Le crabe chinois à mitaines fréquente uniquement l’hémisphère Nord. Les populations les plus importantes de crabes chinois à mitaines établies en dehors de l’aire naturelle de répartition se trouvent en Europe et le long de la côte ouest des États-Unis. Les pays européens bordant la mer du Nord supportent des populations importantes de crabes chinois à mitaines. Des individus ont également été observés dans des pays situés près de la mer Baltique (Danemark, Allemagne, Pologne, Russie, Estonie, Finlande et Suède). En Amérique du Nord, la seule population bien établie se trouve dans la baie de San Francisco en Californie, aux États-Unis. L’existence de cette population est connue depuis 1992. De 1998 à 2000, de 100 000 à 800 000 individus y ont été pêchés annuellement. Le crabe chinois à mitaines a été observé à plusieurs stations dans l’est du Canada, mais l’étendue de l’invasion n’est pas bien définie.
Au Québec, l’espèce est considérée comme potentiellement envahissante dans le lac Saint-Pierre. Le Saint-Laurent représente un milieu favorable pour le développement de l’espèce et sa propagation anticipée suscite des inquiétudes. Bien que la première capture d’un crabe chinois à mitaines au Québec ait eu lieu en 2004 et que huit autres individus ont par la suite été péchés, aucune population ne semble s’être établie pour le moment. La survie et le développement de ses larves dans l’estuaire et le long de la côte gaspésienne demeurent un facteur limitant en raison de la persistance des températures froides à longueur d’année le long des côtes. Les changements climatiques peuvent par contre accroître les risques d’établissement du crabe chinois à mitaines au Québec.
Impacts de son introduction
Le crabe chinois à mitaines figure sur la liste des 100 espèces exotiques envahissantes les plus à craindre sur la planète (ISSG, 2006), principalement en raison de sa facilité à se propager rapidement dans de nouveaux milieux. Cette espèce représente une menace importante pour le fleuve Saint-Laurent ainsi que pour ses nombreux affluents si la température de l’eau dans l’estuaire est suffisamment élevée pour permettre le développement larvaire, puisque la migration des juvéniles se fait sur plusieurs centaines de kilomètres.
En creusant des tunnels dans les berges des cours d’eau, le crabe chinois à mitaines accélère l’érosion des rives, ce qui peut causer une déstabilisation des berges en plus de détruire l’habitat des poissons. Il constitue ainsi une menace potentielle pour les communautés biologiques aquatiques indigènes, d’autant plus que, en se nourrissant des œufs de saumon, de truite et d’esturgeon, il représente une menace pour la reproduction de ces espèces. De plus, son utilisation des systèmes d’irrigation et de drainage comme abris engendre des pertes économiques en créant des blocages.
Ce crabe est également associé au transport de certains agents pathogènes. La nature du risque associé à ces agents pathogènes pour la santé humaine reste encore à définir. Il est possible que ce crabe soit l’hôte à la douve orientale du poumon (Paragonimus westermani), un parasite qui peut causer une grave maladie chez les humains et d’autres animaux lorsqu’il traverse la peau ou qu’il est avalé. La consommation de sa chair crue ou mal cuite présente donc un risque pour la santé humaine. En Amérique du Nord, aucun crabe chinois à mitaines parasité par des douves n’a été détecté jusqu’à présent.
Lorsqu’il se trouve en nombre suffisant, ce crabe peut nuire considérablement aux activités de pêche. En plus de se nourrir des prises et des appâts, il peut endommager sérieusement les engins de capture.
Prévention et contrôle
Dans les régions envahies par le crabe chinois à mitaines, le contrôle des populations est ardu en raison de son abondance, de sa facilité à coloniser différents milieux, de son seuil de tolérance élevé (salinité, température, pollution) et de son haut taux de reproduction. Les programmes qui visent son éradication ne semblent pas efficaces contre les populations bien établies et autosuffisantes. La prévention représenterait donc le meilleur moyen d’empêcher sa propagation.
Il est important d’apprendre à reconnaître le crabe chinois à mitaines et de ne pas le remettre à l’eau lorsqu’il est pêché. Il est souhaitable de le capturer, de le conserver congelé et, si c’est impossible, de le détruire.