La moule zébrée (Dreissena polymorpha)

Statut

Espèce exotique envahissante, présente au Québec et préoccupante.

Description

La moule zébrée est un petit mollusque bivalve d’eau douce. Sa taille, qui varie entre 0,5 et 5 cm de longueur, est généralement inférieure à celle des autres moules marines. Sa coquille est brune foncée, parfois unie, plus souvent avec une ou plusieurs rayures blanches ou beiges en zigzag, radiaires ou arquées. La moule zébrée tire d’ailleurs son nom latin dreissena, qui signifie littéralement « ayant plusieurs formes » et elle a la particularité d’avoir de grandes variations dans sa coloration. Sur la face ventrale plane de sa coquille se trouve un groupe de filaments appelé « le byssus » qui lui permet de se fixer sur une diversité de surfaces solides.

©US Geological Survey

Illustration de la diversité de formes qu’on peut trouver chez la moule zébrée.

Espèces similaires

La capacité de fixation distingue la moule zébrée des moules d’eau douce indigènes du Québec. La moule bleue (Mytilus edulis), bien connue des gastronomes, peut aussi se fixer à des objets, mais cette dernière se trouve uniquement en eau salée. La moule zébrée est très similaire à une autre espèce exotique de la même famille et de la même région, la moule quagga (Dreissena bugensis). Contrairement à la moule zébrée qui est en forme de « D » allongé avec une section ventrale distinctement plus plate, la moule quagga ressemble plutôt à deux demi-disques. Cette configuration fait en sorte que si on place la face ventrale de la moule quagga sur une surface plane, elle tombe sur le côté, contrairement à la moule zébrée qui reste dressée. On peut distinguer les deux espèces au stade juvénile (même aussi petit que 0,5 mm) en comparant les deux valves de la coquille qui sont toujours symétriques et de la même longueur chez la moule zébrée, alors que chez la moule quagga la valve de droite est significativement plus grande que celle de gauche, et ce, jusqu’à ce qu’elle atteigne 0,5 à 1 cm. À des tailles plus grandes que 1 cm, les deux valves de la moule quagga sont plus ou moins de grandeur similaire et la distinction morphologique entre les deux espèces de Dreissena doit alors se faire principalement en examinant la forme de la coquille dans la région ventrale.

©André Martel,
Musée canadien de la nature

Spécimens juvéniles de moules zébrée à droite et quaggas à gauche.

Reproduction

Le succès de la moule zébrée est dû, entre autres, à sa productivité et à son mode de propagation. En effet, chaque femelle adulte peut pondre de 30 000 à 1 000 000 d’œufs par année. Lors de l’éclosion, les larves, appelées véligères, se trouvent en suspension dans l’eau durant 15 à 30 jours (selon la température et la productivité planctonique estivale) et peuvent être facilement transportées par les courants sur de longues distances. Une fois qu’elle est introduite dans un milieu dont les conditions lui sont favorables, la moule zébrée peut proliférer rapidement. Des températures minimales de 10°C sont tout de même nécessaires pour la reproduction. En Europe, d’où elle est originaire, la moule zébrée adulte peut vivre jusqu’à cinq ans et atteindre 5 cm. Par contre, en Amérique du Nord, la plupart vivent de deux à trois ans et atteignent moins de 3 cm.

Habitat

La moule zébrée vit dans les eaux douces à des salinités inférieures à 0,62 %. La température limite à laquelle elle peut survivre est de 0°C. La moule zébrée peut envahir une diversité de plans d’eau et d’habitats, mais elle préfère généralement les profondeurs d’environ 12 m, les secteurs où le substrat est rocheux, sablonneux ou dense en macrophyte, ainsi que les cours d’eau à faible débit. Les principaux facteurs limitatifs de cette espèce sont la concentration en calcium et le pH. Dans son pays d’origine et ailleurs en Europe, l’espèce nécessite des concentrations minimum de calcium de 25,4 mg/l à 28,3 mg/l. En Amérique du Nord toutefois, ce seuil semble moins élevé et se situe autour de 12 mg/l. La moule zébrée n’étant pas tolérante aux conditions acides, on la trouve généralement dans des pH supérieurs à 7,2. En comparaison à la moule quagga, qui se trouve souvent en eau plus profonde, la moule zébrée tolère davantage la turbulence dans les cours d’eau et colonise surtout les zones peu profondes des lacs, alors que la moule quagga se tient souvent en profondeur. Les adultes peuvent se fixer à toutes sortes de substrats solides : coques de bateaux, moteurs, tuyaux, roches, quais, plantes aquatiques, moules indigènes, écrevisses et même sur d’autres moules zébrées! Quant aux larves, elles nagent librement dans la colonne d’eau.

Historique de son introduction et principaux vecteurs de propagation

La moule zébrée provient d’Europe, plus précisément de la région ponto-caspienne. La construction de canaux, autour de 1700 en Europe de l’Est et de 1800 dans le reste de l’Europe, a permis une dispersion rapide de l’espèce. La présence de la moule zébrée en Amérique du Nord date de 1986. La première mention officielle a été faite en 1988 dans le lac Sainte-Claire en Ontario et son expansion a été fulgurante, ce qui lui a permis de coloniser la plupart des voies navigables interconnectées de l’est des États-Unis. Dès 1989, elle avait colonisé tous les objets solides au lac Érié et en 1992, elle avait envahi le lac Michigan et certains secteurs des rivières Arkansas, Cumberland, Hudson, Illinois, Mississippi, Ohio et Tennessee. L’espèce a poursuivi son expansion vers l’ouest et c’est en 1990 que la moule zébrée a été signalée pour la première fois dans l’est de l’Ontario (rivière Rideau) ainsi qu’au Québec, dans le fleuve Saint-Laurent. Elle a pris beaucoup d’expansion depuis ce temps. Bien qu’elle puisse se déplacer naturellement avec les courants d’eau, les humains sont en grande partie responsables de la propagation de la moule zébrée en Amérique du Nord. Comme les larves sont invisibles à l’œil nu, elles peuvent facilement se trouver dans l’eau des viviers, dans les seaux de poissons appâts, dans l’eau qui reste dans la cale du bateau et dans le système de refroidissement des moteurs. Elles peuvent donc être transportées clandestinement par les navires, les plaisanciers et les pêcheurs d’un plan d’eau à l’autre. D’ailleurs, on croit que l’espèce est arrivée dans les eaux des Grands Lacs lors des opérations de vidange des eaux de lest des transocéaniques dans le lac Sainte-Claire. Les jeunes moules et les moules adultes peuvent aussi être propagées d’un plan d’eau à l’autre en se fixant sur les embarcations, les remorques à bateaux ou sur tout autre véhicule ou objet immergé, et même, sur les pattes ou les plumes des oiseaux. Les plantes aquatiques entremêlées dans la suspension ou l’essieu des remorques à bateaux sont des vecteurs de dispersion pour les petites moules zébrées. Par conséquent, les débris et fragments de plantes entremêlés doivent être complètement enlevés lors de la sortie de l’eau, et ce, avant l’immersion de l’embarcation dans un autre lac ou plan d’eau.

Distribution connue

La distribution indigène de la moule zébrée est localisée dans les bassins de drainage des mers Noire, Caspienne et Asov, mais elle s’étend maintenant à travers toute l’Europe, incluant le nord-est de la Russie, la presque totalité des pays d’Europe de l’Est et de l’Ouest, incluant la Scandinavie et la Grande-Bretagne. En Amérique, l’espèce est présente dans la majorité des États de l’est. L’espèce est aussi présente en Californie et au Colorado depuis 2008, au Texas et Massachusetts depuis 2009, et au Dakota du Nord depuis 2010. Au Canada, seuls les cours d’eau de l’Ontario et du Québec sont contaminés. Au Québec, l’espèce est présente dans le fleuve Saint-Laurent jusqu’à la limite où la salinité de l’eau devient trop grande pour l’espèce, soit en aval de l’île d’Orléans. L’espèce se trouve aussi dans la rivière Richelieu, dans le lac Champlain, le lac des Deux Montagnes et dans la rivière des Outaouais, du côté ontarien.

Impacts de son introduction

La moule zébrée est une espèce exotique envahissante redoutable et très prolifique qui entraîne de nombreuses répercussions écologiques, économiques et sociales. Par sa capacité à se fixer à une multitude de surfaces submergées, elle peut obstruer différents types de systèmes hydrauliques, notamment les prises d’eau potable, et engendrer des problèmes d’approvisionnement en eau. Elle peut aussi encrasser les embarcations et les endommager. Les coûts liés au contrôle de la moule zébrée représentent des millions de dollars annuellement. La moule zébrée a des impacts négatifs sur les moules d’eau douce indigènes (mulettes) en se fixant sur leur coquille, les empêchant ainsi de respirer, de creuser des galeries et de se nourrir. Elle a d’ailleurs causé la disparition de vastes populations de moules d’eau douce indigènes depuis son introduction. Enfin, elle peut blesser les baigneurs à cause de ses coquilles coupantes qui s’accumulent sur les plages. Étant donné que chaque moule zébrée peut filtrer jusqu’à un litre d’eau par jour pour se nourrir, cette espèce réduit ainsi la quantité de phytoplancton et de zooplancton disponible pour certains jeunes poissons, les moules indigènes et les autres invertébrés aquatiques. L’action filtrante d’une grande colonie de moules zébrées augmente la transparence de l’eau et favorise le développement de plantes aquatiques à de plus grandes profondeurs. On considère d’ailleurs que la moule zébrée est une espèce « ingénieure », étant donné qu’elle modifie les processus de l’écosystème dans lequel elle est introduite. Les espèces indigènes peuvent alors devenir mal adaptées à leur environnement ainsi transformé. Enfin, ce mollusque est aussi un vecteur de transmission du botulisme aviaire, une maladie qui a tué des milliers d’oiseaux aquatiques au lac Érié.

©André Martel, Musée canadien de la nature.

Les moules zébrées attachées à un bivalve indigène peuvent compromettre sa survie.

Prévention et contrôle

Une fois qu’elle est implantée dans un milieu, la moule zébrée est pratiquement indélogeable. Des municipalités investissent des sommes importantes pour parvenir à contrôler le colmatage des prises d’eau potable. Pour cette raison, il est important d’empêcher la colonisation d’autres plans d’eau par la moule zébrée. La prévention est cruciale, car une fois l’espèce établie dans un plan d’eau, son éradication est pratiquement impossible et des interventions de contrôle périodique seront sans doute nécessaires à perpétuité pour en minimiser les impacts. Plusieurs produits chimiques tels que le chlore sont disponibles, mais la moule est tellement tolérante que ces moyens ne sont pas toujours efficaces. Des filtres et le raclage peuvent aussi être utilisés pour limiter les dommages causés par la moule dans les tuyaux ou sur différentes infrastructures. Les coûts des mesures de contrôle sont très élevés, particulièrement pour les industries utilisant l’eau des cours d’eau, comme les centrales de production d’énergie et les usines d’eau potable.

Vous pouvez contribuer à prévenir l’envahissement de cette espèce nuisible en appliquant les méthodes de prévention et de contrôle  qui s’imposent pendant les activités de pêche et de loisir.

Information complémentaire