Le poisson à tête de serpent

Statut

Espèce envahissante préoccupante, non présente au Québec.

Description

Une espèce de poisson à tête de serpent, Channa argus ou poisson à tête de serpent du Nord, la plus susceptible de se répandre au Québec, ©Dessin de Susan Trammel, US Geological survey

Ces poissons, de la famille des chanidés, possèdent un long corps de forme cylindrique, une longue nageoire dorsale et une queue ronde. Leur nageoire anale, très longue aussi, commence à la moitié du corps, tandis que leur nageoire pelvienne est située près de la tête. De très larges écailles apparaissent sur leur tête, comme chez un serpent, ce qui a inspiré leur nom. Ils ont une petite tête qui contraste avec leur grande bouche, dont la mâchoire du bas est remplie de nombreuses dents acérées qui ont la forme de canines. Les 29 espèces de poissons à tête de serpent varient au chapitre de leur coloration et de leur taille. Certaines espèces sont petites, atteignant 17 cm, mais la plupart ont des tailles supérieures, et certains spécimens observés mesurent environ 1,8 m de longueur. Les poissons à tête de serpent du Nord (Channa argus), les plus susceptibles de s’établir au Québec, peuvent atteindre une taille maximale de 80 cm et un poids de 7 kg.

Espèces similaires

La forme du corps de la plupart des espèces de poissons à tête de serpent est vraiment semblable à celle du poisson-castor et de la lotte. L’espèce envahissante se distingue cependant des autres espèces par sa longue nageoire anale qui démarre au milieu du corps et la présence de ses larges écailles au-dessus de la tête.

Habitat

Les espèces de poissons à tête de serpent sont capables de tolérer un large éventail de conditions environnementales, mais ils demeurent avant tout des poissons d’eau douce et supportent difficilement l’eau salée. Ils fréquentent surtout des étangs et des rivières et quelques espèces peuvent supporter des températures oscillant entre 0 et 30°C. En plus de leurs branchies, les poissons à tête de serpent possèdent un organe qui ressemble à un poumon, leur permettant de respirer l’air à la surface de l’eau. Cette caractéristique leur permet d’habiter dans des eaux peu profondes, avec des conditions hypoxiques, c’est-à-dire un très faible niveau d’oxygène dans l’eau. Dans ces conditions, la plupart des poissons qui dépendent uniquement de l’oxygène contenu dans l’eau suffoquent rapidement, mais les poissons à tête de serpent pouvant respirer de l’air survivent mieux, même dans une eau qui ressemble davantage à de la boue humide lorsque l’eau s’est presque complètement retirée. Ces derniers peuvent d’ailleurs survivre hors de l’eau pendant plusieurs jours, bien qu’ils doivent toujours rester humides. L’espèce la plus tolérante des eaux froides, le poisson à tête de serpent du Nord, préfère quant à lui les eaux stagnantes des étangs ou des marais, avec un substrat boueux et de la végétation aquatique. Cette espèce peut supporter des températures froides qui entraînent une réduction de leur métabolisme et de leur demande en oxygène, leur permettant de survivre même sous la glace.

Reproduction

Les périodes de fraie varient aussi selon les espèces de poissons à tête de serpent, mais elles ont généralement lieu pendant les mois d’été et les individus peuvent frayer 1 à 5 fois par saison de reproduction. Les femelles pondent en moyenne 1 300 à 15 000 œufs par période de fraie, bien que chez le poisson à tête de serpent du Nord, elles produisent 22 000 à 51 000 œufs, pouvant totaliser près de 100 000 œufs par an. Les adultes construisent un nid flottant pour leurs œufs jaunes, sphériques, non adhésifs et d’environ 2 mm de diamètre. La période d’incubation dépend de la température de l’eau; par exemple, à 31°C, l’éclosion a lieu 28 heures après la ponte. Les parents protègent de façon très agressive leur nid jusqu’à ce que le sac vitellin, qui contient les réserves nécessaires pour le développement de l’alevin, soit résorbé alors que les jeunes mesurent approximativement 8 mm. Les jeunes commencent à se nourrir de zooplancton, de petits crustacés et de poissons très tôt dans leur développement larvaire.

Historique de son introduction et principaux vecteurs de propagation

Le spécimen de poisson à tête de serpent d’Indonésie (Channa micropeltes) , trouvé dans la rivière Saint-Charles, près de Québec,
©Ministère des Ressources naturelles et de la Faune

La famille des têtes de serpent compte au moins 29 espèces de poissons, dont 26 sont classifiées sous le genre Channa et proviennent du sud et de l’est de l’Asie, et 3 appartiennent au genre Parachanna et sont originaires de l’Afrique. La première mention d’un poisson à tête de serpent a été rapportée aux États-Unis en 1914. Ce poisson, très prisé sur les marchés de nourriture asiatique, est vendu sur le marché de l’Amérique du Nord et dans les animaleries. Il a probablement été introduit par l’intermédiaire de ces deux voies commerciales. L’implantation résulte du fait que certains propriétaires, dépassés par la taille et l’appétit vorace de leur animal de compagnie, relâchent des spécimens encore vivants dans les milieux naturels. D’autres ont la volonté d’établir des populations de cette espèce comestible pour alimenter le commerce. Le poisson à tête de serpent du Nord peut survivre dans des températures froides, ce qui rend cette espèce très menaçante puisqu’elle a le potentiel de s’établir dans la majeure partie de l’Amérique du Nord.

Distribution connue

Distribution potentielle du poisson à tête de serpent du Nord en Amérique du Nord, prédite à partir de ses exigences thermales. Les zones rouges désignent les régions d’établissement les plus probables tandis que les zones roses identifient les régions où Channa argus a déjà été récolté (Dans Herborg et al. 2007).

Actuellement, quatre espèces de poissons à tête de serpent ont été repérées dans les eaux des États de la Californie, de la Floride, d’Hawaii, du Maine, du Massachusetts, du Rhode Island et du Maryland. De plus, des populations semblent pouvoir se reproduire en Floride et au Maryland. Surnommé « Frankenfish » ou « Fishzilla », ce monstre des eaux a aussi fait la manchette au Québec en avril 2010, lorsqu’un cadavre de cet animal a été trouvé sur les bords de la rivière Saint-Charles, près de Québec. Il s’agissait d’un poisson à tête de serpent d’Indonésie vraisemblablement relâché par son propriétaire imprudent. Cette espèce tropicale ne pouvait pas survivre aux hivers québécois, ce qui n’est pas le cas d’une autre espèce, le poisson à tête de serpent du Nord (Channa argus), qui pourrait s’implanter au Québec. En effet, sa répartition possible en Amérique du Nord a été modélisée dans le cadre d’une évaluation des risques biologiques associés à l’implantation de cette espèce. Celle-ci a permis de conclure que les risques de répercussions posés par Channa argus étaient élevés, tout au moins dans certaines parties du Canada, notamment dans le sud du bassin des Grands Lacs.

Impacts de son introduction

Toutes les espèces de poissons à tête de serpent sont des prédateurs voraces, soustraits à l’influence des autres prédateurs, pouvant causer des dommages irréversibles en dégradant les ressources aquatiques des écosystèmes. Ces espèces pourraient avoir un effet négatif majeur sur les populations indigènes en exerçant non seulement une prédation sur les poissons, mais en mangeant aussi des amphibiens, des crustacés, des insectes, des petits reptiles et même des petits oiseaux et animaux. Ils exercent également une compétition directe pour la nourriture et les habitats avec les autres poissons indigènes. Les poissons à tête de serpent sont aussi des espèces hôtes pour différents pathogènes, y compris le syndrome ulcéreux épizootique, une maladie mortelle qui peut être transmise à des espèces indigènes. Leur capacité de dispersion est alarmante puisque quelques espèces de poissons à tête de serpent peuvent vivre pendant de longues périodes enterrées dans la boue et se déplacer sur la terre pour atteindre de nouveaux cours d’eau. L’établissement de poissons à tête de serpent menace aussi le secteur des pêcheries. Par exemple, une étude économique menée aux États-Unis a révélé que le commerce des têtes de serpent de 1997 à 2000 s’élevait à 85 000 $US, alors que les dommages encourus pourraient être de plusieurs millions de dollars si ces espèces s’établissaient davantage dans les eaux américaines. Bien que nous puissions seulement spéculer sur leurs impacts, les poissons à tête de serpent ont le potentiel de mettre sérieusement en danger les populations d’espèces indigènes. Par exemple, le poisson à tête de serpent du Nord est un prédateur vorace qui peut ingérer jusqu’au tiers de son poids en une journée et ainsi bouleverser l’équilibre des écosystèmes dans lesquels il s’implante. Les conséquences de sa propagation au Québec seraient donc désastreuses.

Prévention et contrôle

En 2002, des herbicides (pour diminuer les niveaux d’oxygène) et de la roténone (un piscicide à large spectre) ont été utilisés pour éradiquer les poissons à tête de serpent du Nord établis dans l’étang de Crofton, dans le Maryland. Cette méthode n’est pas envisageable dans un réseau hydrographique compliqué comme des rivières, des ruisseaux ou des lacs. Bien qu’il existe des interdictions pour l’achat ou la vente de poissons à tête de serpent en Ontario et dans quelques endroits des États-Unis, le danger de propagation existe encore par les déversements intentionnels des propriétaires d’aquariums. L’arrivée de ces animaux nuisibles, dont certaines espèces tolérantes aux eaux froides pourraient survivre dans les plans d’eau du Québec et croître rapidement, représente une menace pour la biodiversité.

Vous pouvez contribuer à prévenir l’envahissement de cette espèce nuisible en appliquant les méthodes de prévention et de contrôle qui s’imposent pendant les activités de pêche et de loisir.

Information complémentaire