Pleins feux sur… la grive de Bicknell : portrait d’une espèce « en danger »
Tu n’as peut-être jamais entendu parler de moi. Normal! Je suis un oiseau forestier très discret. Je suis dans la même famille que le merle d’Amérique (Turdus migratorius), mais je suis beaucoup moins commune que lui. En effet, je suis un des oiseaux les plus menacés d’Amérique du Nord. Le Québec est un endroit très important pour mon espèce puisqu’il abrite entre 30 % et 50 % de ma population en période de nidification. C’est parce que j’y trouve un habitat qui convient à mes besoins. Il est donc important de mieux me connaître afin de mieux préserver mon espèce et mon habitat. Lis la suite pour en apprendre plus sur moi, la grive de Bicknell (Catharus bicknelli).
On trouve six espèces de grives au Québec
Au Québec, en période de nidification, on peut observer principalement six espèces de grives. On nous regroupe dans l’ordre des passereaux, souvent appelé l’ordre des oiseaux chanteurs. En effet, notre chant est très mélodieux. Nous sommes en général un peu plus petites que le merle d’Amérique, soit environ 18-20 cm comparativement à 25-28 cm pour ce dernier. Pour ce qui est de notre plumage, nous avons toutes le dos brun. Mais attention, tu pourrais être étonné de constater comment le brun peut être différent selon les espèces : brun olive, brun fauve, gris-brun, brun-marron, brun riche, brun roux, brun chaud, brun châtain. Tout est dans la nuance! Une autre caractéristique commune aux grives que l’on rencontre au Québec est d’avoir la poitrine grivelée, ce qui veut dire tachetée de gris et de blanc. D’ailleurs, as-tu remarqué comment notre nom (grive) ressemble à l’adjectif grivelé? C’est peut-être un bon truc pour te souvenir de nous!
Mais l’identification des grives n’est pas facile. On confond facilement la grive de Bicknell avec les autres grives du genre Catharus, surtout avec la grive à joues grises (Catharus minimus). Seul un fin observateur pourra remarquer que les plumes de mon dos et de ma queue ont une teinte brun-marron, contrairement à la grive à joues grises qui est plutôt de couleur olive au niveau du dos et de la queue. L’identification sera confirmée par l’écoute attentive de mon chant, dont la finale permet de me distinguer de mes congénères. D’ailleurs, je suis la première à chanter le matin et je suis souvent la dernière à chanter le soir.
La grive de Bicknell est au Québec pour la reproduction en été
J’hiverne dans les Grandes Antilles, principalement en République dominicaine. Lorsque l’hiver est terminé, je fais un trajet de plus de 3000 kilomètres pour venir occuper mon aire de reproduction dans l’est de l’Amérique du Nord. Cette aire se limite à quelques endroits restreints et fragmentés dans le sud-est du Canada; au Québec, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, et dans le nord-est des États-Unis.
Une spécialiste en matière d’habitat!
Le Québec à lui seul abrite autour de 30 à 50 % de la population mondiale. On dit de moi que je suis spécialiste en matière d’habitat. Cette appellation n’a rien à voir avoir mes connaissances dans le domaine de l’habitat, mais permet de mettre en évidence une caractéristique propre à mon espèce. Par opposition à une espèce généraliste qui peut vivre dans une grande diversité d’habitats, je préfère les forêts de conifères. Et pas n’importe laquelle, car j’ai des critères de sélection très précis. Je choisis mon lieu de nidification dans trois types d’habitats : dans la forêt montagnarde de haute altitude dominée par le sapin, dans les forêts résineuses côtières ou dans les forêts de conifères en régénération. En plus, je suis généralement fidèle à mon site de nidification et j’y retourne année après année.
La grive de Bicknell doit faire face à de nombreuses menaces
Les principales menaces qui pèsent sur moi sont la perte et la dégradation de mon habitat, autant celui utilisé pour la reproduction que celui utilisé en période d’hivernage dans les Grandes Antilles. Plusieurs causes sont citées pour expliquer ces pertes d’habitats, comme les activités industrielles, l’exploitation forestière, le développement éolien, les activités récréatives en hautes altitudes, le déboisement et les perturbations naturelles. La pollution atmosphérique et les changements climatiques sont aussi des menaces importantes auxquelles je dois faire face.
Mais que fait-on concrètement au Québec pour protéger la grive de Bicknell?
Il faut d’abord savoir que je suis une espèce de compétence fédérale : un programme de rétablissement de la grive de Bicknell au Canada a été établi avec la collaboration de nombreux chercheurs canadiens, dont des biologistes du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP). Des plans d’action sont mis en œuvre à partir de ce programme de rétablissement afin de mieux comprendre ma biologie et de mieux me protéger.
De plus, étant donné que ma répartition géographique ne se limite pas au Canada, le Groupe international pour la conservation de la grive de Bicknell (GICBC) a été formé en 2007. Plusieurs organisations (dont le MELCCFP) et de nombreux experts du Canada y participent. Le GICBC a élaboré un plan de conservation qui couvre l’ensemble de mon aire de répartition (Amérique du Nord et Grandes Antilles) et travaille déjà à sa mise en œuvre.
Mais le Québec aussi a des responsabilités envers mon espèce. D’ailleurs, depuis 2009, je figure sur la liste des espèces fauniques désignées comme vulnérables en vertu de la Loi sur les espèces menacées et vulnérables du Québec. Des mesures concrètes ont été mises en place dans le but de protéger mon espèce, notamment des mesures de protection de la grive de Bicknell dans les activités d’aménagement forestier. Ces mesures visent, entre autres, à préserver les habitats convenables et à éviter le dérangement de nids durant la période de reproduction. Les zones visées par ces mesures de protection sont situées dans des secteurs dans lesquels, soit ma présence a été confirmée, soit dans les secteurs dits « à potentiel élevé ». Toutefois, pour confirmer ma présence dans les secteurs, il faut procéder à des inventaires.
Des inventaires de chants d’oiseaux pour confirmer la présence de grives de Bicknell sur un territoire
Les inventaires permettent non seulement de me localiser, mais aussi d’en apprendre plus sur la biologie de mon espèce. Mieux on connaît une espèce, plus on est en mesure de la protéger adéquatement. C’est pourquoi, à l’été, on procède à des inventaires dans les régions dans lesquelles il est possible de me trouver. La méthode d’inventaire la plus appropriée pour mon espèce est le « dénombrement par point d’écoute ». Eh oui. Étant donné que l’on m’entend plus souvent que l’on ne me voit, les biologistes et les techniciens de la faune doivent ouvrir grandes leurs oreilles afin de localiser notre chant mélodieux . Les experts doivent donc être en mesure de distinguer le chant de plusieurs espèces d’oiseaux qui fréquentent le même habitat que moi. En plus, il faut être très matinal puisque je chante tôt le matin et tard le soir; les inventaires se déroulent généralement de 3 h à 6 h 30 le matin et de 18 h 30 à 21 h le soir.
Le MELCCFP a produit un document contenant un protocole d’inventaire de la grive de Bicknell et de son habitat destiné aux initiateurs de projet de développement en altitude dans le but de prendre en compte adéquatement les besoins de mon espèce dans de tels projets. Ce protocole permet donc un meilleur encadrement du développement éolien en établissant des mesures de protection à appliquer dans le cadre de tels projets.
Étant donné que le Québec abrite une forte proportion de ma population et une quantité importante d’habitats de reproduction potentiellement intéressants, il est plus qu’essentiel d’y assurer le maintien de mon espèce.
Le Centre de données sur le patrimoine naturel du Québec (CDPNQ) fait d’ailleurs un suivi au Québec de ma présence. La mission du CDPNQ consiste à recueillir, à consigner, à analyser et à diffuser l’information sur les éléments de la biodiversité. Si tu fais une observation sur une grive de Bicknell qu’il est possible de valider, tu peux signaler sa présence au CDPNQ .
La SÉPAQ s’intéresse aussi à ma présence sur son territoire. La présence de la grive est déjà confirmée dans le parc national des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie et dans le parc national des Monts-Valin. De nouveaux inventaires permettront-ils de révéler ma présence dans un endroit jusqu’à maintenant inconnu? À suivre…
Il paraît que…
- Jusqu’en 1995, j’ai été considérée comme une sous-espèce de la grive à joues grises. Des données de terrain (comportement, habitat et critère morphologique) et des analyses de laboratoire en génétique ont permis de nous différencier complètement en deux espèces distinctes.
- Je suis polygynandre : c’est une stratégie de reproduction qui se produit lorsque deux ou plusieurs mâles ont une relation sexuelle exclusive avec deux ou plusieurs femelles.
Jeu
Pour en savoir plus…
Faune et flore du pays
Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP)
SEPAQ
Centre de données sur le patrimoine naturel du Québec (CDPNQ)