Pleins feux sur… le petit blongios : portrait d’une espèce « en danger »
Je suis le plus petit membre de la famille des hérons en Amérique du Nord, les ardéidés. Je suis un échassier modèle réduit! Je ne mesure que 30 cm et je pèse cinq fois moins qu’une « livre de beurre », soit le poids d’une grosse tablette de chocolat (80 g). Chez nous, tout s’étend en longueur, bec effilé pour capturer les poissons, cou et pattes allongés pour circuler dans les marais parmi les quenouilles. On pourrait dire de moi que je suis un digne représentant des terres humides. Je fais d’ailleurs la joie des observateurs d’oiseaux… lorsqu’ils parviennent à m’apercevoir, car je joue toujours à cache-cache avec eux!
Le petit blongios (Ixobrychus exilis) est un maître dans l’art du camouflage
Je suis un modèle de discrétion et je passe facilement inaperçu. Cependant, mon chant sourd et guttural me trahit et révèle ma présence. Avec mon corps fuselé, je me faufile entre les quenouilles. À l’instar de mon cousin le butor d’Amérique (Botaurus lentiginosus), je me nommais d’ailleurs le petit butor autrefois, je suis maître dans l’art du camouflage. Surpris, je me fige sur place, j’étire le cou et je pointe mon bec vers le ciel. Mon cou et ma poitrine rayés vous confondent totalement, j’ai l’air d’une quenouille! Je pousse même l’audace jusqu’à me balancer légèrement sous l’effet du vent.
Le marais est un habitat essentiel pour la reproduction du petit blongios
J’affectionne particulièrement les marais de 5 hectares et plus où poussent en abondance des plantes de grande taille, comme… les quenouilles et où il y a de l’eau partout. Un genre de milieu quasi impénétrable pour toi, mais dans lequel je me déplace aisément à l’abri des regards indiscrets. Avec mes grands doigts, je m’agrippe aux tiges et je me faufile dans cette « jungle humide ». En mai, c’est la période des amours, je fais des vocalises nuptiales, j’appelle la femelle. Coo-Coo-Coo… Je construis le nid à moins de 10 m de l’eau libre, sur une plate-forme au-dessus de l’eau, à l’aide de tiges de plantes desséchées. C’est surtout moi qui fais les gros travaux et je partage aussi la couvaison des 4 à 5 œufs avec la femelle.
Je suis très pointilleux par rapport à la profondeur et la qualité de l’eau. Dans le meilleur des mondes, si j’ai entre 10 et 100 cm de profondeur d’eau sous mon nid, je suis le plus heureux des blongios! Je chasse souvent à l’affût, accroché aux tiges de quenouilles et de rubaniers ou à partir de plates-formes végétales que j’ai érigées. L’eau doit être assez limpide afin que je puisse repérer mes proies : petits poissons, têtards, insectes, salamandres. Durant la période de nidification, une augmentation soudaine du niveau de l’eau peut causer une catastrophe! Mon nid repose sur des plantes au-dessus de l’eau et les inondations soudaines me sont fatales. Je ne peux pas compter sur Qualinet pour les dégâts d’eau… D’un autre côté, une baisse du niveau d’eau ne m’avantage pas plus, car j’ai alors de la difficulté à capturer mes proies tandis que mes prédateurs ont plus facilement accès aux œufs et aux oisillons.
Mes effectifs ont diminué au fil des ans partout où je me reproduis, à l’exception peut-être des États du golfe du Mexique. Au Québec, nous sommes peu nombreux. Il y aurait de 200 à 300 couples. On me trouve principalement le long du fleuve Saint-Laurent et de ses affluents, dans le sud de la province.
Pas d’habitat, pas de faune!
Si je me retrouve sur la liste des espèces en situation précaire au Québec, c’est principalement parce que mon habitat, le marais, est un mal-aimé. Dans le passé, d’importants travaux de drainage, de remblayage et d’endiguement à grande échelle, principalement en Ontario et au Québec, se sont déroulés. Au Québec, le long du fleuve Saint-Laurent, 80 % des terres humides ont disparu depuis l’arrivée des premiers colons européens. C’est le même scénario partout en Amérique du Nord. Remblayage, dragage et drainage de terres humides qu’on convertit pour l’expansion urbaine, l’agriculture, la création de marinas et la construction de chalets.
Quand mon habitat n’est pas entièrement détruit, il est modifié de multiples façons : les rives sont transformées, les niveaux d’eau fluctuent, des sédiments sont transportés et s’accumulent, la liste est longue, beaucoup trop longue. Même si elles se produisent à bonne distance, certaines activités comme la canalisation, l’extraction d’eau, l’érosion et l’épandage de produits agricoles (engrais, pesticides) peuvent dégrader mes sites de reproduction, car ils entraînent des changements du niveau ou de la qualité de l’eau. Je n’ai pas vraiment de tolérance à ce sujet.
Les terres humides sont comme des éponges. Elles absorbent l’eau et toutes les substances qui y sont présentes. Si des substances toxiques qui proviennent des industries et des terres agricoles se retrouvent dans l’eau, elles s’accumulent dans mon organisme à partir des proies que j’ai mangées. Je suis un prédateur important dans la chaîne alimentaire.
Plusieurs espèces végétales envahissent et supplantent les peuplements de quenouilles. Toutes ces plantes favorisent également la succession des marais vers des milieux plus secs. Une fois de plus, l’intégrité de mon habitat est menacée.
On dit que mon marais pue, qu’il est sale, et qu’il est plein de moustiques qui piquent, qu’il ne sert à rien quoi. Pourtant, c’est tout l’inverse! Les plantes des marais servent à purifier l’eau, les marais réduisent les inondations, ils absorbent les gaz à effet de serre, ils offrent un habitat à des centaines d’espèces animales. Le marais vous rend des services écologiques!
Heureusement, les terres humides du Canada font l’objet de différentes mesures de protection qui varient selon la province ou le territoire. Ces mesures permettent de les protéger par des politiques ou des Lois qui encadrent ou limitent les activités qui y sont permises. Dans certains cas, ces milieux sont acquis par un organisme ou par l’État qui leur confère alors un statut particulier; ils s’intègrent alors au réseau des aires protégées.
De plus, des efforts de recherche dans les années 2000 ont permis d’améliorer les connaissances sur ma biologie et mes préférences en matière d’habitat. Il est essentiel de bien me connaitre si on veut mieux me protéger. Les programmes de science citoyenne, tels que ebird, permettent eux aussi d’en apprendre plus sur la répartition de mon espèce.
J’ai confiance et je crois qu’un jour, grâce à tes efforts, les qualificatifs espèce vulnérable et menacée ne seront plus accolés à mon nom. Et toi, que feras-tu pour me venir en aide?
Il paraît que…
- Je suis désigné vulnérable selon la Loi sur les espèces menacées et vulnérables du Québec.
- Le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) me classe comme une espèce menacée et je figure au registre public de la Loi sur les espèces en péril du gouvernement du Canada.