Pleins feux sur… le piégeage du renard roux
Du plus loin que je me souvienne, les hommes m’ont considéré, moi, le renard roux (Vulpes vulpes), comme un animal malfaisant et fourbe. Au IVe siècle avant J.-C., Aristote, le grand philosophe grec, disait de moi dans son ouvrage l’Histoire des animaux, que j’étais adroit et plein de malice.
Rusé comme un renard ou Renart?
Au Moyen Âge, je suis le symbole de la ruse, de la perfidie et de l’hypocrisie. J’ai été rendu tristement célèbre par un ouvrage intitulé : « Le Roman de Renart ». Dans cet ouvrage de récits épiques, il est question de querelles qui opposent un goupil, c’était mon nom, et les autres animaux de la forêt et de la basse-cour – Chantecler le coq, Tibert le chat, Tiécelin le corbeau, Brun l’ours et, surtout, mon pire ennemi, Ysengrin le loup. Vers la fin de cette époque, ce personnage de Renart deviendra si populaire que le nom écrit avec un t, entre dans la langue française pour me désigner, remplaçant l’ancien terme de goupil.
Ruse, gourmandise, avarice, hypocrisie, orgueil, cruauté, ingéniosité, réflexion, ces défauts et qualités me sont attribués dans les fables de La Fontaine. Par contre, je fais meilleure figure dans Le Petit Prince de Saint-Exupéry. En espagnol, mon nom a été donné à un célèbre justicier masqué, nul autre que Zorro!
Permettez-moi de rétablir ma réputation, une fois pour toutes. Ceux qui connaissent ma véritable nature sont sans doute les piégeurs qui se mesurent à moi.
Quelques détails sur moi
Je suis un rouquin, d’où mon nom commun de renard roux. Mais sous cette appellation se trouvent deux autres colorations : je peux aussi être noir ou argenté et croisé. J’affiche mes couleurs selon ma répartition géographique. En Amérique du Nord, je partage le continent avec trois autres espèces de renards : le renard arctique, Vulpes lagopus, le renard véloce, Vulpes velox, et le renard gris, Urocyon cinereoargenteus. Au Québec, je me retrouve seulement avec mon cousin, le renard arctique. Occasionnellement, quelques renards gris peuvent traverser la frontière américaine pour venir faire une incursion en territoire québécois.
Je suis le mammifère carnivore le plus répandu dans le monde. J’occupe tous les continents. Au Québec, je vis dans plusieurs milieux, mais j’ai une préférence pour les zones agricoles, les champs cultivés ou en friches où foisonnent les petits rongeurs. On me trouve aussi en forêt, et même jusqu’au nord dans des endroits somme toute assez découverts.
Je fais partie de la famille des canidés, comme le chien (Canis lupus familiaris), le loup (Canis lupus) et le coyote (Canis latrans). Je suis un animal territorial. Je passe beaucoup de temps à parcourir mon territoire. Je dépose des fèces, mais surtout de l’urine pour signaler ma présence et je marque mes caches de nourriture. Je connais chaque détail de ces lieux qui me sont familiers et je repère le moindre changement. J’ai une excellente mémoire visuelle et olfactive, sans parler de mon ouïe qui est très développée.
Lorsque je suis à la recherche de nourriture, je peux visiter jusqu’à 200 endroits en une heure! Comme je suis actif durant 5 heures, fais le calcul! J’en visite des endroits dans une journée! En hiver, mon ouïe fine me permet d’entendre les campagnols et les souris sous la neige. Je bondis alors et plonge tête première pour saisir ma proie. Cette technique de chasse se nomme le mulotage !
Les mâles peuvent parcourir plus de 10 km par jour, en particulier lors de la période d’accouplement qui a lieu de la fin de janvier au début de février. Je suis plutôt solitaire, mais je demeure en famille durant toute la période d’élevage des jeunes qui se déroule en été. J’évite les coyotes.
Attrape-moi si tu peux!
C’est le premier travail du piégeur que d’inspecter son territoire. Il recherche mes signes de présence, pistes, fèces et urine. S’il a de la chance, il me verra peut-être!
Mes signes de présence sont assez faciles à identifier. Mes fèces sont noirâtres, torsadées et les bouts sont pointus. Selon ce que j’ai mangé, elles contiennent des poils et des restes de petits fruits. Mon patron de piste est plus ou moins en ligne droite. Je suis un marcheur, je croise mes pattes pour me déplacer et souvent mes pattes arrière viennent se déposer dans les traces laissées par mes pattes avant. Mon allure naturelle est le trot. Sur la neige, le jaune de mon urine peut sembler banal, mais l’odeur est inoubliable! Ça sent la mouffette!
Pour me capturer, on utilise un collet ou un piège de rétention sur terre. Le collet est un piège mortel. C’est le type d’engin le plus employé par les piégeurs. Le collet est composé d’un câble à plusieurs filaments qui est muni d’un dispositif de blocage. Il existe plusieurs techniques pour le collet, mais deux d’entre elles sont couramment utilisées. On peut placer le collet dans un rétrécissement le long d’un sentier que je parcours régulièrement, c’est le collet à la passe. Cette méthode est simple et n’exige pas de préparation culinaire particulière.
Le piégeur peut aussi aménager un enclos à l’aide d’arbustes et d’arbres morts et créer des ouvertures près desquelles il installe ses collets. C’est la technique de l’enclos. Pour m’y attirer, il enterre des appâts.
Si le piégeur choisit d’employer un piège de rétention, plusieurs modèles sont disponibles. Il y a l’engin muni d’un lacet, qui est fixé au sol à l’aide d’un piquet. Quand je pose ma patte dessus, le mécanisme se déclenche. En essayant de me libérer, les ressorts du piège se défont et celui-ci tombe par terre. Je ne suis retenu que par le lacet et je peux marcher sur mes quatre pattes, selon la longueur de celui-ci. Il y a aussi le modèle dont les mâchoires sont coussinées pour éviter de me blesser.
Des odeurs fortes pour m’attirer
Il existe plusieurs techniques qui font appel aux pièges de rétention. L’une d’entre elles se nomme le « trou sale » ou « l’appât enterré ». Cette fois, pour m’attirer et me tromper, le piégeur se transforme en grand chef cuisinier! Il prépare avec soin des appâts avec des parties de castors du Canada (Castor canadensis), rats musqués (Ondatra zibethicus) ou marmottes communes (Marmota monax) qui sont hachées et mélangées à de la glycérine, des glandes à musc de rat musqué et du borax en poudre. Le borax freine la décomposition de la viande! Le tout faisande durant 6 à 10 jours et ce mélange est ensuite mis en conserve. Je te laisse imaginer l’odeur qui se dégage… hummmmm!
En plus de préparer des appâts, le piégeur concocte des leurres. Ceux-ci ont pour but de faciliter ma capture en éveillant ma curiosité, mon appétit ou mes instincts de reproduction. Le leurre, c’est comme un parfum : son odeur doit me séduire et me faire tourner la tête au point de me faire perdre ma méfiance afin que je m’approche de plus près. Le piégeur peut acheter des leurres ou les préparer. Voici la recette d’un leurre sexuel :
- 4 glandes anales de renard
- 3 organes sexuels de renard femelle, ovaire, utérus, vagin (doit avoir été capturée durant la période de reproduction)
- 2 vessies et leur contenu
- ½ cervelet
- 4 glandes des pattes
- 3 onces d’urine de femelle (en période de reproduction)
- glycérine
- huile de livèche
Il suffit de couper le tout et d’y ajouter l’urine. On couvre ce mélange d’eau et on laisse à la chaleur pendant un mois. On ajoute encore de l’urine, la glycérine et l’huile de livèche. On laisse macérer un mois avant de l’utiliser.
Par la suite, tout est une question de dosage en fonction des conditions de température. Il ne faut pas oublier que j’ai le nez fin. Une trop forte dose peut provoquer l’effet contraire et me faire prendre mes pattes à mon cou pour fuir les lieux. C’est comme un parfum, quand on en met trop, ça peut donner mal au cœur!
La conception et l’utilisation des leurres requièrent de la précision et de la minutie. Idéalement, le piégeur doit vérifier leur efficacité sur le terrain en aménageant des stations d’odeur avant d’amorcer sa saison de piégeage. Par la suite, s’il souhaite capturer des jeunes, il pourrait opter pour un leurre de type alimentaire ou un appât. Souvent les jeunes sont plus affamés, car moins expérimentés à la chasse. Par contre, si le piégeur souhaite capturer des mâles adultes, il choisira un leurre sexuel. Une alternance dans le choix des leurres est une façon de faire appropriée. Prendre des notes et les consigner dans un registre permet au piégeur de faire un suivi de ses réussites et échecs et l’aide à conserver les meilleures recettes.
Il n’est pas toujours nécessaire de recourir aux leurres et aux appâts. Il existe une technique très différente dite de « la pointe à nouvelle ». Celle-ci tire son nom du fait que nos signes de marquage constituent des messages que nous laissons sur notre territoire. On se donne des nouvelles entre nous! Il s’agit pour le piégeur de trouver un endroit qui a été marqué, comme une touffe d’herbe, et de dissimuler dans le sol les pièges de façon à ce que je marche dessus. Il ne reste plus qu’à y ajouter un peu d’urine et le tour est joué.
Peu importe la technique employée, dans tous les cas, le piégeur doit être vigilant. Il doit s’assurer de ne laisser aucune trace visuelle ou olfactive lors de son passage sur le terrain. Son installation doit se confondre avec le milieu environnant, éviter de croiser les chemins que j’emprunte et considérer la direction des vents dominants. J’ai le nez fin!
En plus d’avoir des talents de cuisinier, le piégeur doit avoir un sens aigu de l’observation, être habile manuellement, être discret et patient et il doit être rusé… comme un renard! Ferais-tu un bon piégeur?
Il paraît que…
- Ma queue touffue correspond à 70 % de ma longueur, tête et corps.
- Je suis particulièrement sensible à la rage.
- Dans le sud du Québec, 99 % des renards sont roux. Vers le nord, 60 % sont roux, 35 % sont croisés et 5 % sont argentés.
- Je peux vivre jusqu’à 10 ans en milieu naturel. Le record de longévité en captivité est de 15 ans.
- En 2021, un peu plus de 6 500 fourrures brutes de renard roux provenant du Québec ont été vendues.