Accueil de la section Jeunesse
Tétras du Canada, femelle, dans la réserve faunique de Matane. © Gilles Savard.

Pleins feux sur… la recherche et le tétras du Canada

Tétras du Canada, mâle.

Tétras du Canada, mâle. © Robert Parent.

On m’appelle la perdrix noire, ou encore la perdrix des savanes. En anglais, on me surnomme « fool hen ». Mon vrai nom est le tétras du Canada (Canachites canadensis). Je suis si peu farouche que tu pourrais pratiquement me capturer à mains nues. D’ailleurs, quand je vois un humain, au lieu de m’envoler au loin, souvent, je reste sur place ou je m’installe sur une branche pour l’observer. On peut dire que je cours à ma perte! C’est toutefois un avantage certain pour les biologistes qui étudient mon espèce. Hé oui, moi, la poule de la forêt boréale, je suis l’objet d’un projet de recherche!

La poule de la forêt boréale

Tout comme la poule, je fais partie de l’ordre des gallinacés, ces oiseaux qui grattent le sol. J’ai des pattes robustes munies de quatre doigts aux griffes arrondies. Contrairement à ces oiseaux de basse-cour, je n’ai pas d’ergotErgot : pointe recourbée, située derrière la patte de certains oiseaux. Il est utilisé pour se défendre contre les prédateurs. . J’ai des plumes qui recouvrent partiellement mes pattes et mes narines; une adaptation au climat froid de l’hémisphère Nord où j’habite.

Habitat du tétras du Canada.

Habitat du tétras du Canada. © Guillaume Desrosiers.

J’occupe la forêt boréale, et j’aime les pessières, ces peuplements d’épinettes noires (Picea mariana). Il y a les avaleurs de sabre, moi, je suis un avaleur d’aiguilles! Je me gave d’aiguilles. Grâce à mon jabot, qui est bien développé, je peux accumuler jusqu’à 10 % de mon poids en nourriture. Je fais des réserves. Toute une boîte à lunch que j’ai là! Imagine si tu pouvais emmagasiner 10 % de ton poids en victuailles de toutes sortes, dans une partie de ton corps. Fais le calcul! Pour un être humain, cela correspondrait à manger presque trois fois plus qu’à l’habitude! Je préfère les aiguilles du mélèze laricin (Larix laricina), cet arbre qui a la fâcheuse idée d’imiter les feuillus l’automne venu. Je fréquente aussi les tourbières. J’y trouve des petits fruits et des insectes.

Je suis un oiseau plutôt dodu, et mes ailes courtes et arrondies ne font pas de moi un as du vol longue distance. Quand je m’envole, contrairement à ma cousine la gélinotte huppée (Bonasa umbellus), qui fait sursauter tout le monde avec ses ailes bruyantes, la plupart du temps, je passe inaperçu.

Le tétras en mode séduction

Nid de tétras du Canada.

Nid de tétras du Canada. © Guillaume Desrosiers.

Mais quand vient le temps des amours, alors là, je deviens exubérant! Les mâles font du « breakdance ». Ils exécutent des mouvements acrobatiques, ils se perchent à deux ou trois mètres de hauteur et ils descendent en battant des ailes. Au sol, ils se pavanent. Regarde bien . Durant cette période de séduction, les caronculesCaroncule : chez le tétras du Canada, bosses rouges au-dessus des yeux. du mâle deviennent proéminentes. Les mâles, fort combatifs, défendent farouchement leur territoire de danse contre tout intrus. Tu verras bientôt comment les biologistes en tirent avantage. Le mâle s’accouple avec plusieurs femelles et leur union ne dure que le temps de l’accouplement.

De leur côté, les femelles ne sont pas en reste. Pour la suite, elles se font très discrètes. Elles sont tellement secrètes que leur nid est difficile à trouver. Il consiste en une simple dépression au sol qui abrite de six à huit œufs. La femelle s’occupe seule de sa nichée pendant 12 semaines. Elle peut simuler une aile cassée pour détourner l’attention d’un prédateur ou d’un chercheur.

Les menaces qui me guettent…

Au nord du fleuve Saint-Laurent, on me retrouve à la grandeur de la forêt boréale. Naturellement, l’exploitation forestière a des répercussions, mais j’ai la couenne dure! Je suis en mesure d’occuper de nouveau ces milieux une fois que la forêt est régénérée. De plus, on y croise peu de chasseurs, sauf dans quelques secteurs.

Par contre, au sud du Saint-Laurent, c’est une autre histoire. J’ai toujours occupé le sud du fleuve Saint-Laurent, particulièrement les régions de la Gaspésie, du Bas-Saint-Laurent, de la Chaudière-Appalaches, de l’Estrie et du Centre-du-Québec. Mais ces régions sont plus densément peuplées! L’activité économique y est importante et diversifiée : on y exploite la forêt et des tourbières, ces milieux que je préfère! Quel impact ces activités ont-elles sur moi? Mieux vaut prévenir, avant que ma situation ne devienne aussi problématique que dans le nord-est des États-Unis! 

J’ai été désigné espèce menacée dans les États de New York et du Vermont, espèce d’intérêt spécial au New Hampshire, et je suis considéré comme une espèce rare dans le Maine, où il est d’ailleurs interdit de me chasser. Comment expliquer cette situation alarmante? J’ai perdu ces forêts d’épinettes que j’aime tant, je me suis retrouvé isolé, coupé des autres groupes de tétras. Dans le langage des biologistes, il s’agit de la fragmentation de mon habitat. En termes clairs, je ne trouvais plus assez de partenaires!

Les chercheurs ont émis les hypothèses suivantes :

Inventaire d’un habitat de tétras.

Inventaire d’un habitat de tétras du Canada.
© Pierre Blanchette.

  • Je ne suis pas réparti au hasard parmi les peuplements forestiers de cette région, et je préfère les peuplements constitués uniquement de conifères;
  • Je préfère les peuplements âgés (50 ans ou plus) aux peuplements jeunes;
  • Avec l’apparition de fruits mûrs, les couvées se déplacent vers des habitats où elles trouvent nourriture et abri;
  • Je me retrouve davantage dans les grands peuplements que dans ceux de petite taille;
  • Je me retrouve plus rarement dans les habitats isolés.

Comment procèdent-ils, ces chercheurs?

Appel de tétras du Canada.

Appel de tétras du Canada. © Pierre Blanchette.

Depuis peu, les biologistes ont commencé à s’intéresser à moi! Le but du projet de recherche est d’acquérir des connaissances sur les habitats que j’utilise tout au cours de l’année pour répondre à mes besoins, en particulier dans les régions forestières du sud du Québec (Chaudière-Appalaches et Centre-du-Québec).

Comment procèdent-ils, ces chercheurs? Ils ont d’abord réalisé un inventaire afin de confirmer notre présence dans le secteur. Ils ont ensuite réparti des stations d’écoute distantes de 200 mètres. Afin d’attirer les mâles et les femelles, ils nous ont fait entendre l’enregistrement du cri d’une femelle durant une période de 15 minutes. 

Capture d’un tétras du Canada femelle.

Capture d’un tétras du Canada femelle.
© Robert Parent.

Plus de 50 tétras mâles et femelles ont été capturés et munis d’un émetteur VHF.  

Ils ont aussi pris des mesures, comme notre poids. Les oiseaux ainsi équipés ont été suivis durant quatre périodes d’un cycle annuel, soit de la mi-avril à la mi-mai (habitat d’accouplement), début juin (habitat de nidification), de la mi-juin à la fin août (habitat d’élevage des couvées) et du début décembre à la fin mars (habitat hivernal).

Différentes variables d’habitats, par exemple la densité et le diamètre des arbres, ont été mesurées au point de localisation et comparées avec des points choisis au hasard. Ça, c’est pour les statistiques! Comme les couvées semblent utiliser un habitat selon la disponibilité des insectes (au début de la période d’élevage) et des petits fruits (vers la fin de la période d’élevage), l’abondance des petits fruits dans les principaux habitats est estimée tout au long de l’été.

Capture d'un tétras du Canada femelle.

Capture d’un tétras du Canada femelle.
© Robert Parent.

Cette étude d’une durée de trois ans a permis de bien cerner les variations interannuelles possibles dans l’utilisation et la sélection de l’habitat, ainsi que la fidélité aux sites. Les travaux ont été réalisés en collaboration avec les partenaires suivants : l’Université Laval (Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique et Chaire industrielle de recherche en aménagement des tourbières), la Fondation de la faune du Québec, le Groupement Agro-forestier de Lotbinière-Mégantic inc. et la Conférence régionale des élus de la Chaudière-Appalaches. 

 

Pesée d'un tétras du Canada.

Pesée d’un tétras du Canada. © Robert Parent.

Les résultats semblent démontrer que le tétras préfère utiliser les milieux jeunes et ouverts plutôt que la forêt mature pour nicher. L’espèce éviterait les milieux agricoles et préférerait grandement les conifères aux feuillus!

Les résultats obtenus lors des études permettent la publication de documents fort utiles, notamment la Proposition d’un modèle de qualité de l’habitat du tétras du Canada (Falcipennis canadensis) pour le sud de son aire de répartition au Québec et le guide d’aménagement de l’habitat du tétras du Canada .

Il paraît que…

Prédation d'un pékan sur un nid de tétras.

Prédation d’un pékan sur un nid de tétras du Canada. © MELCCFP.

  • Je fais partie de la grande famille des phasianidés, qui compte plus de 200 espèces dans le monde. En fait, on me retrouve dans la sous-famille des tétraoninés, qui comprend les lagopèdes et la gélinotte huppée, que tu appelles familièrement « perdrix ».
  • J’ai été introduit avec succès dans l’île d’Anticosti en 1985.
  • Mes principaux prédateurs sont l’autour des palombes (Accipiter gentilis), le renard roux (Vulpes vulpes), le lynx du Canada (Lynx canadensis), la martre d’Amérique (Martes americana) et le grand-duc d’Amérique (Bubo virginianus). Mais il semble que le pékan (Pekania pennanti) ne dédaigne pas mes œufs, comme en témoignent ces photos prises sur le site d’étude.

Pour en savoir plus…

Oiseaux.net

Cornell Lab of Ornithology

eBird