Pleins feux sur… la recherche, les orignaux et les collisions routières
Au Québec, l’orignal (Alces alces) est impliqué dans plus de 1 000 collisions routières chaque année. De 20 à 30 % de ces accidents entraînent des blessures graves chez les automobilistes. Estimée à plus de 120 000 individus dans la province, la population d’orignaux est à la hausse, tout comme l’achalandage routier et la construction de nouveaux axes. Ces faits laissent présumer que ce cervidé aura de plus en plus de démêlés avec les usagers de la route. Il ne faut pas croire qu’il s’agit d’une situation unique au Québec. La plupart des provinces canadiennes et des pays nordiques où vit l’orignal doivent faire face à cette réalité. C’est pourquoi les chercheuses et chercheurs s’intéressent de plus en plus à lui pour évaluer l’efficacité de mesures mises en place pour limiter ses accès aux routes.
Le plus gros des cervidés
Au sein de l’espèce, seuls les mâles possèdent des bois palmés et aplatis, mais même sans panache, on reconnaît facilement un orignal à sa taille. Comme les plus gros spécimens peuvent peser jusqu’à 600 kg et atteindre de 170 cm à 190 cm à l’épaule, l’orignal porte le titre du plus gros cervidé vivant actuellement dans le monde. Il reste pourtant d’une grande subtilité dans les bois, se déplaçant en faisant peu de bruit sur son domaine vital qui varie d’une vingtaine à quelques centaines de kilomètres carrés selon la région. L’orignal n’a pas une bonne vision, mais il possède un odorat bien développé et une ouïe exceptionnelle. Le cri d’une femelle peut être entendu par un individu mâle à plus de 3 km de distance!
Une large répartition
En Amérique du Nord, on peut le croiser de la côte est du Labrador jusqu’à la côte ouest de l’Alaska. Il est généralement associé à la forêt boréale et à la forêt mixte un peu plus au sud. Le réchauffement climatique et la diminution des populations de loups (Canis lupus) favorisent l’expansion de son territoire vers le nord, au cœur de la forêt clairsemée qui précède la toundra arctique. La présence de milieux humides dans son habitat est essentielle puisque ceux-ci lui offrent une bonne source de nourriture et un abri contre les insectes lors des périodes estivales.
Des plantes et des minéraux
L’orignal se nourrit principalement de feuilles, de plantes herbacées et de plantes aquatiques submergées. Il est extrêmement friand de ces dernières. Pour les atteindre, il peut retenir sa respiration pendant près d’une minute et plonger à plus de 5 mètres.
Il a besoin d’un apport continuel de minéraux, notamment le sodium, qui sert, entre autres, à la croissance de ses bois durant l’été. Il le trouve normalement dans les plantes aquatiques. Les mares salines, en bordure des routes, en sont également d’excellentes sources. Elles contiennent une grande concentration de sels et de minéraux provenant des sels de déglaçage et des abrasifs répandus sur les routes. Faciles d’accès, elles sont de deux à trois fois plus concentrées que les plantes aquatiques. Toutefois, cette source de minéraux attire les cervidés près des routes.
L’hiver est pour l’orignal une saison de disette. N’ayant pas accès aux mêmes ressources, cet animal majestueux doit se contenter de rameaux, d’écorces, de mousses et de lichensLichen : végétal résultant de la symbiose parfaite entre un champignon et une algue.. Considérant sa taille, il doit ingérer et ruminer une énorme quantité de nourriture quotidiennement : de 25 kg à 30 kg de matière végétale pendant la saison chaude et de 15 kg à 20 kg pendant l’hiver. Voilà pourquoi il doit sillonner un aussi grand territoire!
Des densités parfois élevées
Les orignaux parcourent de vastes espaces, mais leurs territoires sont souvent superposés. Cela peut conduire à des densités importantes en certains endroits. Dans la réserve faunique des Laurentides, il y a en moyenne 2,2 orignaux par 10 km2, mais on en compte parfois jusqu’à 8. Le territoire de la réserve est également traversé par la route 175, le principal axe routier menant à la région du Saguenay. On y dénombre le plus haut taux de collision avec des orignaux, avec une moyenne d’une cinquantaine de cas chaque année au début des années 2000. L’annonce du projet d’élargissement à quatre voies de cette route se présentait donc comme une occasion unique pour mettre en place et étudier des mesures d’atténuation.
L’influence de la présence des routes sur l’orignal
Dans un premier cas, une étude a été menée pour mettre en évidence les habitudes de déplacement des orignaux. Au cours des mois de janvier et février 2003, 30 orignaux ont été munis de colliers GPS. En 2004, des bris de matériel et la mort de quelques individus ont forcé la pose de 12 nouveaux colliers. Émettant des informations toutes les deux ou trois heures, 34 d’entre eux ont transmis suffisamment de données pour les analyser. Les résultats ont été surprenants : les orignaux auraient tendance à éviter autant les routes pavées où il y a une bonne circulation que les chemins forestiers moins fréquentés.
Dans ce cas, pourquoi sont-ils impliqués dans un si grand nombre de collisions chaque année au Québec? Les routes présenteraient certains avantages. D’abord, elles offrent d’excellents corridors ayant une faible dénivellation pour circuler dans des territoires accidentés. De plus, les orignaux trouveraient en bordure de celles-ci des mares salines ainsi qu’une plus grande concentration de plantes intéressantes qu’en forêt. C’est la loi du moindre effort!
Grosse bête, gros impacts
La morphologie particulière de l’orignal, soit une grande masse corporelle soutenue par quatre pattes effilées, est responsable de la gravité des blessures. Lors d’un impact, les pattes frêles cèdent et le corps de l’animal bascule sur le véhicule. Il n’entre pratiquement pas en contact avec le châssis avant, mais percute de plein fouet le pare-brise et l’habitacle. Ces derniers se déforment et s’affaissent, occasionnant dans la plupart des cas des blessures graves et, parfois, le décès des automobilistes. De son côté, la bête est généralement dans un piètre état et doit être abattue.
L’importance des blessures et dommages impliqués lors d’une collision a incité les autorités à se pencher sur la problématique. Des plans d’études conjoints entre l’Université du Québec à Rimouski, le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs et le ministère des Transports ont été élaborés au cours des dernières années. Ces plans avaient pour but d’examiner la faisabilité et l’efficacité de certaines mesures d’atténuation le long de deux segments de route au nord de la réserve faunique : les clôtures électriques, le drainage et le remblayage des mares salines ainsi que l’installation de passages fauniques.
Clôtures et passages fauniques
Des clôtures d’un mètre et demi ont été érigées sur une distance de 5 km le long de l’autoroute 175 en 2002. En 2004, on a installé une section plus longue faisant 10 km le long de l’autoroute 169, un embranchement de la 175. Un passage fauniquePassage faunique : aménagement destiné à permettre le passage des animaux à travers un obstacle artificiel comme une route, une voie ferrée ou un barrage. suivant le cours d’une rivière passant sous la 175 a été aménagé. Pour la 169, le passage se fait encore sur la route au moyen d’une ouverture laissée dans la clôture. Il y a cependant des feux d’avertissement qui se déclenchent pour alerter les automobilistes lorsqu’un orignal s’y engage.
L’efficacité de ces installations a été évaluée par le relevé hebdomadaire des pistes aux alentours de la clôture. Ce système n’est pas parfait : des bêtes ont tout de même eu accès à la route, soit par une section de clôture affaissée par la chute d’un arbre ou par des barrières d’accès de chemins forestiers restées ouvertes. Il arrive aussi que des orignaux sautent par-dessus les clôtures. Malgré cela, les experts ont estimé que, pour l’autoroute 175, il y avait 76 % moins de risques d’y avoir une collision, alors que pour la 169, la réduction était de 77 %.
L’effet de bout est un phénomène parfois observé avec ce dispositif : les animaux restreints dans leurs déplacements longent la clôture et traversent aux limites de celle-ci, augmentant les risques et la fréquence des accidents à ces endroits. Pour atténuer ce phénomène, les clôtures ont été installées de manière à ce que les extrémités se terminent sur un terrain impraticable, comme une falaise. Dans d’autres cas, ces clôtures ont été orientées vers la forêt sur une distance de 100 m pour y renvoyer les animaux persistants. Jusqu’à maintenant, l’effet anticipé ne s’est pas fait ressentir dans sa pleine mesure. On a observé un nombre de pistes plus important dans la portion sud d’une des installations, mais on ne sait pas si la situation est causée par un accroissement de la population, donc d’une densité accrue, ou par les clôtures elles-mêmes.
En ce qui concerne les passages fauniques, les relevés montrent que des orignaux les empruntaient généralement chaque semaine. Une piste longeant une des clôtures a même été relevée sur une distance de 1 km, démontrant l’importance de ces passages pour la faune.
Traitement des mares salines
La réserve faunique des Laurentides est reconnue pour l’importance de ses chutes de neige. Chaque année, de 80 à 100 tonnes de sel sont épandues par kilomètre pour offrir aux automobilistes une route sécuritaire. Or, lors de la fonte des neiges, tout ce sel se retrouve dans les bas-côtés et forme des mares salines. Les orignaux les fréquentent au printemps et une partie de l’été pour combler leur besoin de sodium. C’est encore la loi du moindre effort qui a préséance, car les salines naturelles sont rares sur ce territoire. Une étude a relevé que la présence de mares augmentait de 80 % les risques de collision. Les mares ont été drainées et remplies avec des roches de 10 cm à 30 cm de diamètre. La gestion de ces sites a entraîné dans un premier temps une réduction de la durée des visites des orignaux. Ensuite, le nombre de visites a diminué la nuit, moment de la journée le plus critique quant aux collisions, mais aucun changement n’a été observé le jour. Il n’est pas possible pour l’instant d’évaluer de quelle manière ces changements comportementaux se répercuteront sur les risques d’impact. Il est probable que les bêtes cesseront graduellement, au cours des prochaines années, de visiter les mares salines drainées.
Il paraît que…
- À ce jour, c’est plus de 90 kilomètres de clôtures qui ont été installées sur l’autoroute 175. Les collisions avec la grande faune ont grandement diminué sur cette autoroute. L’installation de clôtures et de passages fauniques se poursuit.
- Les bois de l’orignal mâle améliorent ses chances de trouver une compagne pendant la saison du rut.
- Des chercheurs suédois ont développé un mannequin de taille et de poids correspondant sensiblement à la moyenne de l’espèce. Ce mannequin pourrait éventuellement servir à des tests de collision avec des véhicules automobiles. L’objectif? Améliorer la sécurité des passagers.
- L’orignal a déjà servi comme bête de trait et comme monture. Il n’a pas été utilisé longtemps! Les fuyards à dos d’orignaux distançaient trop facilement les policiers à dos de cheval.
Pour en savoir plus…
Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP)
Faune et flore du pays
L’encyclopédie canadienne
Rapports de recherche
- Répartition temporelle et spatiale des collisions dans les Laurentides
- Comportement des orignaux par rapport aux axes routiers
- Impacts de clôtures métalliques et de passages fauniques sur la sécurité routière et le déplacement des orignaux le long de la route 175 au Québec
- Impacts de l’ajout de passages fauniques et du prolongement de clôtures anticervidés sur la sécurité routière de la route 138 à Petite-Rivière-Saint-François