Pleins feux sur… la recherche et la nyctale de Tengmalm
Savais-tu que la chouette n’est pas la femelle du hibou? Il existe un hibou mâle et un hibou femelle, autant que chez la chouette. Même s’ils sont tous les deux des oiseaux de proie nocturnes, le hibou possède des aigrettes, mais la chouette n’en a pas! Les aigrettes sont des touffes de plumes plus longues au-dessus de sa tête.
La nyctale de Tengmalm (Aegolius funereus) est une chouette. Elle a une cousine, la petite nyctale (Aegolius acadicus). Elle est la plus petite chouette de l’est de l’Amérique du Nord. Bien que les deux se ressemblent, la petite nyctale a le bec foncé, de fines raies blanches au front et un visage sans contour noir. En général, toutes les deux nichent dans des cavités semblables, surtout celles du grand pic (Dryocopus pileatus), du pic chevelu (Dryobates villosus) ou du pic flamboyant (Colaptes auratus). Elles peuvent également occuper des nichoirs artificiels.
Des vols dérangeants?
Pendant plusieurs années, les avions militaires de l’escadre 5 de Goose Bay ont survolé un territoire de 130 000 km2, dont une partie couvre le Labrador et la Basse-Côte-Nord. D’ailleurs, 60 % des vols passaient au-dessus du Québec. Cette aire permettait aux militaires de s’entraîner.
La nyctale de Tengmalm habite la forêt boréale, une région survolée par ces avions militaires. Ces vols risquaient d’entraîner des répercussions sur elle. Par exemple, les vols en plein jour, moment où elle est censée dormir, pouvaient nuire à son ouïe et diminuer son succès de chasse.
Pour étudier l’effet des vols militaires en basse altitude sur les nyctales de Tengmalm, un projet de recherche a débuté en 2003. Ce projet était mené par l’Institut pour la surveillance et la recherche environnementale (ISRE) ainsi que le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs. Pour savoir si les vols à basse altitude avaient des effets sur cet oiseau, les chercheurs ont choisi deux secteurs le long de la rivière Natashquan : un secteur où il y avait des vols à basse altitude et un secteur sans vol. Ils pourraient ainsi comparer les résultats. Ils ont installé 300 nichoirs dans chacun des secteurs. Comme ces secteurs sont éloignés et assez difficiles d’accès, 99 nichoirs ont été installés près de Sept-Îles. Ces nichoirs étaient appelés à être visités chaque semaine.
Un projet de recherche rempli d’embûches
Les chercheurs ont éprouvé des problèmes et ont dû apporter des correctifs au projet. Ils ont utilisé un hélicoptère à la place de la motoneige pour la visite des nichoirs au printemps. Contrairement à ce qui avait été prévu, le printemps a été hâtif, et le dégel s’est amorcé sur de grandes distances. Il aurait été dangereux de circuler en motoneige. Afin de réduire les coûts, seulement une centaine de nichoirs dans chacun des deux secteurs d’étude ont été visités.
Les chercheurs n’étaient pas au bout de leur peine. Dans le secteur survolé par les avions militaires, près de 80 % des nichoirs ont été victimes de prédation de la part des martres d’Amérique (Martes americana). En plus, les porcs-épics d’Amérique (Erethizon dorsatum) ont causé du dérangement en rongeant les nichoirs. Il a donc été impossible d’obtenir suffisamment de données pour comparer les deux secteurs d’étude avec ou sans vol.
L’équipe de recherche a donc concentré ses efforts pour tenter de corriger le problème. Des dispositifs pour empêcher les martres et les porcs-épics d’accéder aux nichoirs ont été installés sur l’ensemble des 600 nichoirs. Les chercheurs avaient prévu baguer les jeunes nyctales et déterminer les taux de survie. Compte tenu de l’importance de la prédation et du dérangement, cette activité a été annulée.
Les chercheurs devaient aussi capturer des micromammifères afin de connaître l’abondance de nourriture pour les nyctales. Leurs résultats indiquaient un nombre relativement élevé de campagnols en 2003 et 2004. Ils ont supposé que les nyctales auraient encore accès à une abondante source de nourriture, ce qui devrait contribuer à une bonne saison de reproduction en 2005. Encore une mauvaise surprise, le printemps suivant…
Les nyctales n’ont pas niché du tout. Aucun œuf dans le réseau de nichoirs… Habituellement cela correspond aux années où les micromammifères sont dans le bas de leur cycle de population. Pour en avoir le cœur net, ils ont réalisé un inventaire de micromammifères. C’était bel et bien le cas. Leurs pièges sont demeurés pratiquement vides.
Au printemps 2006, les chercheurs prévoyaient visiter le réseau de nichoirs à Sept-Îles pour savoir s’il y avait une reprise de la nidification. Dans l’affirmative, le projet se poursuivrait dans la région de Natashquan, sinon, les chercheurs devraient attendre à l’année suivante.
Changement de plan
Une autre surprise de taille attendait les scientifiques. Les militaires avaient décidé de réduire le nombre de vols à basse altitude. Le nombre de sorties effectuées par les avions des pays membres de l’OTAN était si faible que les chercheurs ne pouvaient plus en évaluer l’impact sur les nyctales. C’était l’hypothèse à vérifier, l’impact des vols à basse altitude sur ces oiseaux…
Qu’à cela ne tienne, l’équipe s’est retroussé les manches et a poursuivi les recherches pour vérifier les nouvelles hypothèses suivantes :
1. Les dispositifs anti-prédateurs empêchent efficacement l’accès des martres aux nichoirs;
2. Les populations de micromammifères augmentent rapidement dès l’année qui suit un crash, comme cela a été observé en Europe.
Pour vérifier la première hypothèse, les 99 nichoirs du réseau de Sept-Îles ont été visités. La tournée de la rivière Natashquan a également été réalisée en partie. En excluant les nichoirs tombés au cours de l’hiver ou inaccessibles en raison du niveau de l’eau, cette tournée a permis la visite de 116 nichoirs fonctionnels.
Pour la seconde hypothèse, une campagne de capture des micromammifères a eu lieu. Près de 500 pièges ont été appâtés avec du beurre d’arachide. Les espèces ont été identifiées. Les données ainsi recueillies ont par la suite fait l’objet de tests statistiques.
Et les résultats?
Alors, as-tu hâte de connaître les résultats? À quelles conclusions les chercheurs sont-ils parvenus? Qu’ont-ils découvert en faisant la tournée des nichoirs?
Les dispositifs anti-prédateurs empêchent-ils efficacement l’accès des martres aux nichoirs? On ne le sait pas. Il n’y a eu aucun signe de nidification. Une fois de plus, les nyctales n’ont pas eu de petits… elles n’ont même pas tenté de nicher. Seul un des nichoirs près de la rivière Natashquan contenait 2 œufs d’une autre espèce de rapace diurne, la crécerelle d’Amérique (Falco sparverius). Étant donné l’absence totale de nidification par les nyctales en 2005 et en 2006, il est donc impossible de déterminer l’efficacité des dispositifs anti-prédateurs.
Les populations de micromammifères ont-elles augmenté rapidement dès l’année qui suit un crash, comme cela est observé en Europe? Non.
Au total, seulement 31 micromammifères appartenant à trois espèces ont été capturés : le campagnol à dos roux de Gapper (Myodes gapperi), la musaraigne cendrée (Sorex cinereus) et la souris sylvestre (Peromyscus maniculatus).
Les populations de micromammifères n’ont pas augmenté. Cela explique pourquoi, une fois de plus, les nyctales n’ont pas niché. Pas de nourriture, pas de ponte. On dirait que les oiseaux ont comme un sixième sens. Mais ça, c’est une autre histoire.
La seconde hypothèse, soit les populations de micromammifères qui augmentent rapidement dès l’année suivant un crash, comme cela a été observé en Europe, n’a pas été observée. Chez nous, la période de crash des micromammifères pourrait-elle durer plus d’un an? Est-ce une situation exceptionnelle? Est-ce parce que les espèces de micromammifères en Europe ne sont pas les mêmes qu’ici? Seul un suivi à long terme permettrait de le déterminer.
Aucune conclusion… pour l’instant!
La réduction importante de la pratique des vols à basse altitude, raison d’être des travaux entrepris sur la nyctale de Tengmalm, fait en sorte que le suivi des nichoirs a été abandonné. On ne sait pas si les vols à basse altitude ont un effet sur les rapaces nocturnes. On ignore si les dispositifs anti-prédateurs sont efficaces. Mais tout n’est pas perdu, car le dispositif et les méthodes mis au point dans le cadre de ce projet pourraient être utilisés dans une autre étude pour évaluer, par exemple, les effets des activités minières ou forestières sur la nyctale de Tengmalm.
Pas toujours facile la recherche!
Il paraît que…
- La nyctale de Tengmalm a été nommée ainsi en l’honneur de Peter Gustaf Tengmalm, un naturaliste suédois.
- Deux mots décrivent le cri de la nyctale de Tengmalm : chuinte et hulule (ou ulule). Elle émet un lou-lou-lou constant, aux sons doux pour les oreilles. Tu peux entendre ce lou-lou-lou jusqu’à deux kilomètres. Écoute :
- une nyctale de Tengmalm mâle
- la petite nyctale
- Aegolius vient du grec pour hibou en général et funereus du latin, pour funèbre en faisant allusion à son chant…
- La femelle commence l’incubation dès la ponte du premier œuf. Il y a donc des jeunes d’âges différents dans le nid. L’éclosion est asynchrone.
- Pour protéger ma couvée, je bloque l’entrée de mon nid avec ma tête. Mes coups de bec acéré auront vite fait de décourager un éventuel prédateur.
- Hedwige, l’oiseau d’Harry Potter, est-il une chouette ou un hibou? Bonne question, hein? Il s’agit en fait d’un harfang des neiges qui est un hibou.