La tordeuse des bourgeons de l’épinette

La tordeuse des bourgeons de l’épinette, Choristoneura fumiferana (Clemens), est l’insecte le plus destructeur des peuplements de conifères de l’Amérique du Nord (photo 1). On trouve ce défoliateur indigène dans toutes les provinces canadiennes, de la Colombie-Britannique à Terre-Neuve. Au Québec, la tordeuse des bourgeons de l’épinette consomme principalement le feuillage annuel du sapin baumier (Abies balsamea [L.] Mill) (photo 2), de l’épinette blanche (Picea glauca [Moench] Voss) ainsi que, à un degré moindre, de l’épinette rouge (Picea rubens Sarg.) et de l’épinette noire (Picea mariana [Mill] BSP). En période épidémique, on peut aussi la trouver sur d’autres essences résineuses.

Photo 1 – Chenille à maturité.

Photo 2- Feuillage annuel détruit d’un sapin baumier.

Biologie et comportement

Le cycle de vie de cet insecte défoliateur se déroule en une seule année (figure 1). Il compte un stade œuf, six stades larvaires, un stade chrysalide et un stade adulte, celui du papillon. À son deuxième stade larvaire, la tordeuse des bourgeons de l’épinette passe l’hiver dans un petit cocon de soie, appelé hibernaculum, tissé dans les crevasses de l’écorce, les écailles des bourgeons, les lichens corticoles ou les cupules des fleurs de ses hôtes.

Figure 1 – Cycle de vie de la tordeuse des bourgeons de l’épinette, Choristoneura fumiferana (Clemens).

Vers la fin d’avril ou le début de mai, les jeunes chenilles, qui mesurent environ 1,5 millimètre de longueur, sortent de leur hibernation. Attirées par la lumière, elles se dirigent vers les extrémités des branches, où elles se nourrissent du pollen des fleurs en attendant l’ouverture des bourgeons. S’il n’y a pas de fleurs, elles minent les vieilles aiguilles et les bourgeons encore fermés. Toutefois, dès que les nouvelles pousses se déploient, les chenilles s’y tissent une sorte d’abri formé de leurs déjections et de débris d’aiguilles entremêlés de fils de soie. Elles s’y nourrissent jusqu’à leur sixième et dernier stade larvaire, soit jusqu’à la fin de juin. C’est à ce moment que leurs dégâts sont les plus apparents (photo 3). Parfois, lorsque le feuillage de l’année est entièrement détruit, les chenilles des deux derniers âges larvaires dévorent les aiguilles des années antérieures. En fait, les chenilles des cinquième et sixième âges larvaires sont responsables de plus de 85 % de la défoliation.

Photo 3 – Apparence d’un peuplement de sapins en juillet, après une défoliation grave.

En période épidémique, on voit fréquemment une multitude de chenilles suspendues au bout de fils de soie. C’est ainsi qu’elles descendent dans la cime des arbres ou qu’elles se laissent porter par le vent sur des distances parfois considérables.

À maturité, la chenille mesure de 20 à 30 millimètres de longueur. Elle a le dos brun foncé, tacheté de jaune et parfois de blanc. La tête et le dessus du premier segment thoracique sont de couleur brun foncé ou noirs. Au début de juillet, elle se transforme en chrysalide. Ce stade s’effectue dans la cime, à travers les aiguilles mortes et les déchets. La chrysalide y est retenue en place par des fils de soie où elle est attachée à un support par l’extrémité de son abdomen. Après de 10 à 14 jours, le papillon émerge de la chrysalide. À ce stade, d’une durée d’environ dix jours, le papillon ne s’alimentera pas, mais cherchera activement une femelle pour s’accoupler. De couleur terne (du brun au gris), ses ailes ont une envergure d’environ 22 millimètres et sont parsemées de taches foncées, souvent grisâtres. Le vent transporte parfois les papillons sur de très grandes distances, ce qui favorise la dispersion de l’insecte.

En juillet et en août, la femelle pond jusqu’à 200 œufs qu’elle dépose en groupes de 10 à 50 sur la face inférieure des aiguilles de ses hôtes, dans la partie supérieure des cimes. Les œufs sont imbriqués et ils forment des masses de couleur vert pomme. Après l’incubation, d’une durée de 10 à 14 jours, les jeunes chenilles émergent des œufs. Plutôt que de se nourrir, elles s’empressent de se tisser un abri de soie dans lequel elles passeront les mois d’hiver après avoir subi une première mue.

Impacts

L’effet le plus spectaculaire d’une épidémie de la tordeuse des bourgeons de l’épinette est sans doute le nombre d’arbres morts dans les vieilles sapinières. Les peuplements qui leur succèdent renferment un très grand nombre de sapins et, parfois, de bouleaux à papier. Dans les jeunes peuplements très denses, des défoliations répétées provoquent la mort d’un pourcentage plus ou moins élevé d’arbres. Les sujets les moins résistants meurent les premiers. S’il n’y a pas de défoliation, ce processus d’éclaircie a lieu de toute façon, mais il s’étalera sur une plus longue période. Tous les arbres qui subissent une défoliation de 20 % et plus affichent un taux de croissance annuel moindre. Ce fléchissement, qui peut persister pendant quelques années, se traduit inévitablement par des pertes de volumes. Toutefois, ces pertes sont compensées, du moins partiellement, par une meilleure croissance des essences compagnes à la suite d’une éclaircie naturelle. Quelques années après une épidémie, les essences les plus vulnérables à la tordeuse des bourgeons de l’épinette connaissent aussi un regain de croissance, particulièrement dans les peuplements immatures. Néanmoins, les ralentissements de la croissance peuvent retarder la récolte finale des peuplements. Les connaissances que nous avons des relations hôtes-insectes-milieu permettent d’expliquer et même de prévoir les effets des épidémies. On sait, notamment, que la vulnérabilité des peuplements dépend de leurs caractéristiques, de celles des sites où ils croissent (figure 2) et des paramètres influençant la dynamique des populations de l’insecte.

Figure 2 – Facteurs influençant la vulnérabilité des peuplements à la tordeuse des bourgeons de l’épinette.

Ainsi, le sapin est plus vulnérable à la tordeuse des bourgeons de l’épinette que les épinettes, entre autres, parce que son feuillage est moins abondant, et aussi parce que le développement de cet insecte est mieux synchronisé avec le développement des nouvelles pousses. De plus, divers mécanismes physiologiques permettent d’expliquer le fait que les peuplements les plus âgés et les plus denses sont plus vulnérables, tout comme ceux poussant sur des sols caractérisés par un drainage excessif ou mauvais (figure 2).

Par ailleurs, la vulnérabilité des peuplements dépend de la durée des épidémies et de la gravité de la défoliation. On trouve donc les peuplements les plus vulnérables dans les zones où les épidémies sont fréquentes, où le climat convient particulièrement à la tordeuse et où la végétation favorise peu ses ennemis naturels. Dans les peuplements matures qui croissent dans ces zones, une épidémie tue en moyenne 75 % des sapins, quoique ce pourcentage puisse aller de 30 à 95 % selon la densité du peuplement et la qualité du site. Dans les peuplements immatures, la mortalité est de l’ordre de 50 %, mais elle peut varier de 20 à 95 %. Dans les pessières, le taux de mortalité est inférieur à 30 %.

Lors d’une épidémie, les arbres les plus faibles meurent généralement après trois ou quatre années de défoliations graves; la majorité des arbres meurent de 6 à 10 ans après la première attaque. Les arbres affaiblis continuent de mourir, même lorsque les populations de tordeuses sont revenues à un niveau endémique. Les arbres morts sont attaqués par de nombreuses espèces d’insectes et de champignons et ils se dégradent rapidement. Trois ou quatre ans après leur mort, 50 % d’entre eux sont cassés et, chez les sapins, la carie de l’aubier représente alors 30 % du volume de l’arbre. Deux ans plus tard, plus de 80 % des arbres morts sont cassés à diverses hauteurs. En plus d’avoir un impact direct sur la récolte et la transformation des bois, les épidémies de la tordeuse des bourgeons de l’épinette ont aussi des conséquences tantôt positives, tantôt négatives, quoique difficilement quantifiables, sur la faune, les paysages et les activités récréatives.

Historique des épidémies

Depuis le XVIIIe siècle, des épidémies de la tordeuse des bourgeons de l’épinette ont ravagé des forêts immenses, à intervalles plus ou moins réguliers (carte 1).

Carte 1 – Fréquence des épidémies de la tordeuse des bourgeons de l’épinette de 1938 à 2012.

Au Québec, c’est au XXe siècle que les épidémies ont commencé à être documentées. C’est le cas des épidémies qui ont débuté en 1909, 1938 , 1967 et 1992 . Les trois premières infestations ont touché respectivement 30 Mha, 26 Mha et 32 Mha de forêts résineuses. Il est difficile de préciser les volumes de bois en cause lors de l’épidémie qui a sévi de 1967 à 1992. Néanmoins, les données recueillies dans les forêts publiques permettent de croire que la tordeuse des bourgeons de l’épinette y a détruit de 139 Mm3 à 238 Mm3 de sapins et d’épinettes, dont une partie importante a été récupérée. Rappelons que, à cette époque, l’industrie forestière récoltait, bon an mal an, 23 Mm3 de bois résineux dans les forêts publiques québécoises.

Les populations de la tordeuse des bourgeons de l’épinette augmentent graduellement pour atteindre un niveau épidémique tous les 30 ans environ. Ces changements cycliques dans le nombre d’insectes se produisent simultanément sur de vastes territoires. Contrairement à ce que l’on croyait, les foyers d’infestation ne donnent pas naissance aux épidémies. Ils ne sont que les premiers endroits où la tordeuse prolifère dans une région donnée, en raison de la composition forestière ou du climat. L’augmentation de la population, qui se produit à l’échelle d’une région entière, s’y manifeste plus rapidement. Comme les populations fluctuent naturellement, les épidémies ne sont pas déclenchées par un phénomène quelconque et n’ont pas leur origine dans des lieux spécifiques : elles résultent de changements cycliques normaux.

Gestion intégrée des épidémies

En 1994, le Québec adoptait une stratégie de protection des forêts dans laquelle il proposait certaines approches pour contrer les effets négatifs des épidémies de la tordeuse des bourgeons de l’épinette. Ces approches sont basées sur la connaissance que l’on a de cet insecte, de ses hôtes et du milieu forestier. Avant l’adoption de cette stratégie, on déployait des moyens de lutte directe et l’on s’efforçait de récupérer les bois atteints. Depuis, on tente surtout de prévenir les impacts négatifs des épidémies, dont les pertes de bois. Les mesures de prévention doivent désormais être intégrées à l’aménagement forestier, et ce, dès la planification. Pour être efficaces, elles doivent tenir compte de la dynamique des peuplements et des populations d’insectes.

Détection et suivi des épidémies

Le Québec s’est doté d’un système de détection et de suivi des populations de la tordeuse des bourgeons de l’épinette et des dommages causés par cet insecte, système qui permet de mettre en œuvre la Stratégie de protection des forêts. Ce système repose sur un réseau de stations d’observation permanentes complété, au besoin, par des stations ponctuelles (carte 2). C’est l’historique des épidémies et le profil forestier actuel qui orientent le choix des stations.

Carte 2 – Réseau de stations permanentes d’observation de la tordeuse des bourgeons de l’épinette.

Les spécialistes font appel à des techniques d’échantillonnage qui leur permettent de mesurer les fluctuations aux divers stades de développement de l’insecte, même lorsque les populations sont très faibles (photos 4 et 5). Grâce aux données qu’ils recueillent, les spécialistes peuvent non seulement mesurer l’abondance des populations, mais aussi prédire leur tendance à court et à moyen termes. Ces résultats sont publiés chaque année dans le rapport intitulé Insectes, maladies et feux dans les forêts québécoises.

Photo 4 – Piège à phéromone.

Photo 5 – Échantillonnage de branche.

En mesurant les défoliations saisonnières et cumulatives, les spécialistes peuvent suivre l’état de santé des forêts. Ils effectuent d’abord ces mesures ponctuellement dans les réseaux d’échantillonnage. Ils réalisent des reconnaissances en avion ou en hélicoptère pour évaluer l’étendue et la gravité des dégâts.

Les nouvelles technologies de télédétection utilisant l’imagerie satellitaire permettent aux spécialistes du Ministère de compléter les données disponibles dans certains secteurs forestiers (figure 3). Grâce au contraste des couleurs sur les images satellites, on peut délimiter des secteurs touchés par une perturbation naturelle comme une épidémie de la tordeuse des bourgeons de l’épinette.

Figure 3 – Exemple d’évaluation de la mortalité d’arbres causée par la tordeuse des bourgeons de l’épinette à partir d’une image satellite (secteur de la rivière Saint-Jean, Côte-Nord.

Prévention

Pour prévenir les pertes de matière ligneuse, on doit récolter en priorité les peuplements les plus vulnérables, et ce, bien avant le début d’une épidémie. Les peuplements à risque doivent donc être repérés et classés selon leur vulnérabilité. On doit aussi favoriser leur accessibilité en aménageant des réseaux de chemins forestiers.

On peut accroître la résistance des peuplements à la tordeuse des bourgeons de l’épinette en modifiant leur composition et en réduisant leur densité. Par exemple, des éclaircies précommerciales et commerciales, pratiquées en dehors des périodes d’épidémie, permettent de réduire le pourcentage de sapins dans les peuplements au profit d’essences moins vulnérables. Ces coupes augmentent le taux de croissance et la vigueur des arbres résiduels, ce qui permet de renforcer leurs mécanismes de défense contre plusieurs insectes et maladies. Elles favorisent également la formation de feuillages plus abondants. Par ailleurs, si l’on prend soin de maintenir une grande diversité végétale lorsqu’on pratique des éclaircies dans les peuplements mélangés, on favorise les agents naturels de régulation des populations de tordeuses.

On peut aussi compenser une partie des pertes anticipées en effectuant des travaux d’aménagement intensifs dans des peuplements non ou peu vulnérables. Finalement, on doit s’assurer que les essences utilisées pour le reboisement sont bien adaptées aux sites et qu’elles sont résistantes à la tordeuse des bourgeons de l’épinette.

L’intégration de ces mesures à la planification des travaux d’aménagement est un premier pas vers l’application de la Stratégie de protection des forêts. En effet, c’est à cette étape que l’on détermine les mesures à appliquer, délimite les aires où ces mesures seront mises en pratique et arrête le calendrier des travaux. C’est aussi au moment de la planification que l’on repère les secteurs où l’on aura recours à la lutte directe et à la récupération du bois. Dans certains cas, il faudra même envisager des pertes de rendement.

Lutte directe

La lutte directe est parfois le seul moyen efficace pour atténuer l’impact socioéconomique des épidémies de la tordeuse des bourgeons de l’épinette dans certaines étendues de forêts vulnérables. À la demande des autorités du Ministère, la Société de protection des forêts contre les insectes et maladies (SOPFIM) , organisme privé à but non lucratif, planifie et exécute les programmes de pulvérisations aérienne d’insecticide biologique.

Contrairement à la croyance populaire, l’objectif de ces programmes n’est pas d’éliminer la tordeuse des bourgeons de l’épinette, mais plutôt d’en réduire les populations de manière à protéger au moins 50 % du feuillage annuel.

Depuis 1987, le seul insecticide utilisé au Québec contre cet insecte est le Bacillus thuringiensis var. kurstaki, communément appelé Btk. Cet insecticide biologique, qui n’agit que sur les larves de lépidoptères, est reconnu pour être sécuritaire pour la santé humaine et l’environnement. Lorsqu’il est ingéré en dose suffisante, le Btk paralyse l’intestin des insectes qui ne peuvent plus se nourrir et meurent quelques heures plus tard. On ne pulvérise le Btk que dans les aires admissibles aux programmes de protection. Les aires sont choisies en fonction de critères forestiers (vulnérabilité des peuplements), opérationnels (topographie et superficie) et entomologiques (niveaux de populations larvaires) très stricts.

C’est au cours de l’automne que l’on dénombre les populations d’insectes, détermine les superficies où l’on effectuera des pulvérisations et prescrit les traitements à appliquer. Le type et le nombre d’aéronefs requis pour les traitements aériens ainsi que la quantité d’insecticide nécessaire sont également fixés à ce moment-là (photo 6).

Au printemps, les pulvérisations aériennes se font lorsque la pousse annuelle est bien étalée, pour que l’insecticide se dépose sur les aiguilles. Pour optimiser l’action du produit, on doit aussi s’assurer qu’il n’y aura pas d’averses avant et après les pulvérisations. De plus, les traitements doivent s’effectuer lorsque les vents sont légers et que l’humidité relative est adéquate, conditions que l’on retrouve généralement tôt le matin et en début de soirée.

Photo 6 – Base d’opération servant à la lutte aérienne contre la tordeuse des bourgeons de l’épinette.

Les programmes de pulvérisations font l’objet d’une surveillance et de suivis environnementaux. Ainsi, on s’assure que la forêt est protégée dans le respect de l’environnement. De plus, les insecticides utilisés sont soumis à une série de tests en laboratoire pour vérifier leur efficacité et leur utilisation sécuritaire.

Récupération

La récolte des arbres moribonds ou morts depuis peu permet de réduire les pertes de matière ligneuse. Dans les peuplements, la récupération du bois peut s’effectuer jusqu’à 10 ans après la première défoliation grave. Ce délai varie selon la nature et la valeur des produits, les procédés de transformation et les exigences du marché. Généralement, il faut agir plus rapidement lorsque le bois est destiné au sciage, car dès la deuxième année après la mort, les longicornes et autres facteurs de dégradation du bois (champignons, fendillement) causent des dommages qui entraînent une forte dépréciation du bois.

Document complémentaire

Information en anglais sur la tordeuse des bourgeons de l’épinette