Pleins feux sur… une espèce exotique envahissante, le poisson à tête de serpent
Les envahisseurs débarquent et ils ne proviennent pas d’une lointaine planète! Ce sont des espèces animales ou végétales qui se trouvent en dehors de leur aire de distribution habituelle; elles sont dites exotiques. Lorsqu’elles nuisent à l’économie, à l’environnement et à la santé et qu’elles parviennent à se reproduire, elles sont considérées comme envahissantes. Au Québec, nous les appelons les espèces exotiques envahissantes ou EEE, et, si elles proviennent du milieu aquatique, ce sont les espèces aquatiques envahissantes ou EAE.
Comment les EEE se répandent-elles?
Les animaux se déplacent naturellement vers de nouveaux territoires mais, avec l’accroissement des activités humaines, les voyages et le commerce international, ces déplacements ont pris de l’ampleur. Pas un milieu naturel ne leur échappe, ou presque. Ce phénomène n’est pourtant pas nouveau!
Dès 1462 avant notre ère, les Égyptiens rapportaient de leurs voyages des plantes et des animaux pour la ménagerie du pharaon, introduisant ainsi des espèces exotiques dans leur pays. Aux 17e et 18e siècles, les grandes explorations et la colonisation accélèrent le processus. Il était de coutume d’avoir à bord des moutons, des porcs, des chèvres, etc., pour assurer la subsistance de l’équipage en cas de naufrage. Les rats en ont profité pour se glisser dans les cales des navires et pour envahir le monde. Ils ont éliminé des espèces sur certaines îles, ils ont été tenus responsables d’importantes pertes économiques en s’attaquant aux cultures de céréales et les puces qu’ils transportaient ont causé les épidémies de peste qui ont entraîné la mort de dizaines de millions de personnes. Alors que certaines espèces débarquaient, d’autres embarquaient pour enrichir la culture et l’élevage (maïs, pomme de terre, dindon, etc.).
Aujourd’hui, avec la mondialisation et les moyens de transport modernes, la circulation des espèces est beaucoup plus rapide et importante. Ce ne sont plus seulement des enjeux alimentaires, mais des activités récréatives et économiques, telles que l’aquariophilie et le jardinage, qui doivent être considérées.
Un intrus originaire d’Indonésie!
Avez-vous déjà entendu parler de l’intrus de la Saint-Charles? Un redoutable prédateur avait été trouvé sur les berges de cette rivière dans la région de Québec. Une autopsie avait permis d’identifier le cadavre. Il s’agissait du poisson à tête de serpent d’Indonésie connu sous le nom scientifique de Channa micropeltes! Comment une espèce originaire d’Asie s’est-elle retrouvée chez nous?
Ce poisson est disponible dans certaines animaleries et on peut même s’en procurer par Internet. Ce sont les juvéniles qui sont offerts et, avec leurs couleurs vives, ils font l’envie des aquariophiles. Petit poisson deviendra grand… trop grand pour l’espace qu’il occupait! Il mangera ses congénères dans l’aquarium et il perdra sa coloration qui plaisait tant pour tourner au brun.
Tout porte à croire que le poisson à tête de serpent d’Indonésie avait été relâché par son propriétaire, mais heureusement, il ne tolère pas la rigueur de nos hivers. Cependant, au moins trois espèces de la même famille, celle des Channidés, ont réussi à s’établir dans quelques États américains où elles représentent une menace pour les populations locales de poissons.
Comment les reconnaître?
La famille compte actuellement 29 espèces comprises dans deux genres : Channa (26 espèces originaires du sud et de l’est de l’Asie) et Parachanna (trois espèces provenant d’Afrique). Selon une révision de la classification en cours, ce nombre pourrait passer à 36. Toutes ces espèces ont une forme allongée. De larges écailles sur la tête et des yeux placés à l’avant leur donnent une allure de… tête de serpent, d’où leur nom commun. Ici, deux espèces de poissons leur ressemblent : le poisson-castor (Amia calva) et la lotte (Lota lota). Tout comme les poissons à tête de serpent, nos deux espèces ont un corps de forme cylindrique, une longue nageoire dorsale et une queue ronde. Observe bien l’image. Le poisson à tête de serpent a une nageoire anale et une nageoire dorsale très longues.
Un poisson envahissant et vorace!
Qu’est-ce qui fait le succès de ces poissons à tête de serpent? En plus de respirer l’oxygène dans l’eau grâce à leurs branchies, certaines espèces peuvent aussi utiliser l’air atmosphérique grâce à un organe qui ressemble aux poumons. Ainsi, ils peuvent se déplacer, même sur la terre ferme, à la recherche de plans d’eau, et, si leur peau demeure humide, ils peuvent survivre hors de l’eau pendant plusieurs jours! Ils ont donc un avantage sur tous les poissons qui sont plus exigeants pour la qualité de l’eau.
Voraces, ils s’attaquent principalement aux poissons, mais ils peuvent s’en prendre à d’autres groupes de vertébrés tels que les amphibiens, les serpents, les oiseaux et les mammifères, ou à des invertébrés comme les crustacés. Avec une large bouche remplie de dents acérées qui ressemblent à des canines, les proies n’ont aucune chance! De plus, les adultes sont prolifiques, fort agressifs et ils montent la garde pour protéger les petits lors de la croissance. Finalement, outre l’humain, on ne leur connaît aucun ennemi naturel.
En plus d’être une menace pour les espèces indigènes qui deviennent une cible de choix, la venue de ce poisson dans nos eaux pourrait favoriser l’introduction de maladies et de parasites.
Des problèmes chez nos voisins du sud!
Si le poisson à tête de serpent d’Indonésie ne peut survivre sous nos latitudes, ce n’est pas le cas de son cousin le poisson à tête de serpent du Nord (Channa argus). Ce dernier, qui peut atteindre 1,8 mètre et peser 6,8 kilogrammes, vit en eau douce et tolère des températures de 0 à 30 °C. Cela fait de lui une espèce très dangereuse, car il pourrait s’établir chez nous. Cette espèce est d’ailleurs parvenue à s’implanter aux États-Unis, dans la rivière Potomac en Virginie et au Maryland. Dans cet État, les autorités ont réussi à éliminer une population qui occupait un étang. À plus grande échelle, l’éradication est beaucoup plus difficile, voire impossible.
Le poisson à tête de serpent du Nord pond de 1 300 à 1 500 œufs, une opération qui peut se répéter cinq fois durant l’année. Il construit des nids cylindriques, pouvant atteindre un mètre de diamètre, en eau peu profonde, à l’aide de plantes aquatiques.
Contrairement à son cousin le poisson à tête de serpent d’Indonésie, les juvéniles du poisson à tête de serpent du Nord ne sont pas prisés des aquariophiles. Par contre, les adultes comptent parmi les espèces les plus recherchées dans le commerce de consommation de poissons vivants. Ils sont aussi offerts dans certains restaurants. Lors du transport et de la manutention des poissons vivants, les accidents doivent être considérés et les possibilités de « perdre » des spécimens dans la nature existent.
De plus, certaines personnes croient qu’elles peuvent obtenir des faveurs des dieux en retournant, dans leur milieu naturel, des animaux gardés en captivité. Il s’agit là d’une forme de prière. Ce serait sans doute une des explications des lâchers volontaires dans les eaux américaines, mais ce rituel est aussi pratiqué par certaines communautés culturelles établies au Canada.
Ces pratiques sont souvent illégales, puisque la possession d’un poisson à tête de serpent vivant est interdite dans la moitié des États américains, tandis qu’il est interdit d’importer ou de transporter ces poissons d’un État à l’autre à moins d’avoir obtenu une autorisation du U.S. Fish and Wildlife Service. Au Canada, l’Ontario interdit l’achat et la vente des poissons à tête de serpent vivants. Actuellement, la Colombie-Britannique importe toujours des poissons à tête de serpent vivants, mais les espèces impliquées ne sont pas connues.
L’établissement des poissons à tête de serpent menace, entre autres, le secteur des pêcheries. Par exemple, une étude économique menée aux États-Unis a révélé que le commerce des poissons à tête de serpent, de 1997 à 2000, s’élevait à 85 000 $ US, alors que les dommages causés pourraient être de plusieurs millions de dollars, si ces espèces s’établissaient dans les eaux américaines.
Quoi faire avec un poisson à tête de serpent?
Que faire si tu penses avoir observé un poisson à tête de serpent ou tout autre poisson exotique? Tu dois immédiatement le signaler au bureau régional concerné du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs ou en contactant le service à la clientèle du Ministère (services.clientele@mffp.gouv.qc.ca, 1-877-346-6763)
Les aquariophiles ont le devoir de prendre soin de leurs poissons. Si vous devez vous en débarrasser, il faut absolument éviter de relâcher les spécimens dans un milieu naturel, y compris les libérer par la cuvette de la toilette. Que faire alors? Videz l’eau de l’aquarium sur de la terre sèche, loin d’un plan d’eau.
Il paraît que…
- La plus ancienne introduction connue est celle du marsupial Phalanger orientalis, il y a 19 000 ans, dans l’archipel Bismark, près de la Nouvelle-Guinée.
- Les invasions représentent une des principales causes de réduction de la biodiversité mondiale, juste derrière la perte d’habitat.
- On a même vu des poissons à tête de serpent encore en vie après avoir été congelés!