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Gobie à taches noires. © Eric Engbretson, U.S. Fish and Wildlife Service.

Pleins feux sur… le gobie à taches noires, une espèce exotique envahissante

Moi, le gobie à taches noires (Neogobius melanostomus), je suis un clandestin… Je suis arrivé au Canada caché dans les eaux de ballastEau de ballast : eau contenue dans un réservoir (ballast) qui sert à maintenir la stabilité des navires. Le ballast peut être rempli ou vidé de son eau afin d’optimiser la navigation. des navires. On a signalé ma présence la première fois en 1990 dans la rivière Sainte-Claire, qui relie les lacs Huron et Érié en Ontario. Depuis, j’ai envahi les Grands Lacs et le fleuve Saint-Laurent. Impossible de m’éradiquer! Je suis maintenant bien installé; je fais partie de l’écosystème du fleuve Saint-Laurent.

Le gobie à taches noires est un poisson de fond

Je suis un membre de la famille des gobiidés, une des familles de poissons les plus nombreuses de la planète. Je suis originaire des mers Noire, Caspienne et d’Azov situées entre la Turquie, l’Iran et le Kazakhstan. De petite taille, de 8 à 15 cm, on me distingue à mes deux nageoires pelviennes fusionnées. Mes nageoires dorsales, elles, sont en deux parties. La première est épineuse et porte une grosse tache sombre caractéristique. Le reste de mon corps couvert d’écailles est gris ardoise et parsemé de taches grises, brunes ou verdâtres. J’ai une grosse tête, des yeux globuleux situés un peu sur le dessus de la tête et des lèvres épaisses. Je sais… je ne suis pas un canon de beauté!

Schéma du gobie à taches noires. © MELCCFP.

Je suis un poisson benthique, c’est-à-dire que je me tiens dans le fond de l’eau. Je n’ai pas vraiment le choix, car je ne possède pas de vessie natatoire. Chez les poissons, il s’agit d’un sac rempli de gaz situé dans l’abdomen. Ce sac joue le rôle de flotteur et permet de se déplacer verticalement dans la colonne d’eau. Or, étant dépourvu de ce flotteur naturel, je suis maladroit à la nage et je suis facilement emporté par le courant. Je demeure donc dans le fond que je préfère rocheux. J’utilise mes nageoires pelviennes fusionnées en forme de ventouse pour m’agripper aux roches et me déplacer.

Le gobie à taches noires mâle est très impliqué dans la reproduction

Je peux me reproduire jusqu’à six fois pendant une saison estivale et à chacune de ces périodes de fraie, la femelle pond de 500 à 3 000 œufs. Le nid peut contenir jusqu’à 10 000 œufs provenant de plusieurs femelles différentes.

Pour le reste, c’est moi, le mâle, qui se tape la majorité du travail. Je détermine au printemps un territoire que je défends contre tout intrus. Pour attirer la femelle, j’ai plus d’un tour dans mon sac. J’émets des signaux chimiques (des phéromones) et des sons et je change de couleur et de posture. Une fois les œufs fécondés, je me prépare au combat. Mon apparence change et je cesse de manger pendant 2 à 3 semaines jusqu’à l’éclosion des œufs. Malheur à qui s’aventure trop près de ma progéniture, car je mords, je crache du sable, j’émets des grognements! Un véritable dragon! En plus de protéger ma descendance, je ventile les œufs en agitant ma nageoire caudale (queue). Les larves sont minuscules et nocturnes et se nourrissent de zooplancton. Ce qui expliquerait qu’elles aient pu être transportées dans les eaux de ballast des navires où elles ont survécu jusqu’ici.

Anatomie interne d’un poisson osseux. © www.Infovisual.info.

Adulte, je me nourris de crustacés (moules et escargots), de vers marins et de larves d’insectes. Je suis très tolérant. Je peux vivre en eau douce et dans une eau légèrement saline. Je supporte des écarts de température allant de -1 °C à 30 °C et je m’accommode d’une eau faible en oxygène. Ce ne sont pas toutes les espèces introduites qui peuvent se vanter d’acquérir le titre d’envahisseur! Il faut être prolifique (fécondité élevée et soins parentaux donnés par le mâle), combatif et tolérant. J’ai bien tout ce qu’il faut!

Le gobie à taches noires est considéré comme une espèce exotique envahissante

Je suis une EEE, une espèce exotique envahissante. Cette expression désigne les espèces qui sont introduites hors de leur zone de répartition naturelle et dont l’établissement ou la propagation constitue une menace pour l’environnement, l’économie ou la société. Une fois introduites, les EEE sont souvent une menace pour les espèces indigènes qui se trouvent naturellement dans un milieu. Les EEE peuvent être des animaux, des végétaux, des champignons ou des microorganismes (bactéries et virus). Dans le groupe des animaux, ce sont les poissons qui sont le plus souvent introduits et qui sont les plus sensibles aux envahisseurs. En fait, il y a tellement d’envahisseurs dans le milieu aquatique que les biologistes ont créé la catégorie des EAE, les espèces aquatiques envahissantes. Les introductions peuvent être de nature accidentelle ou volontaire.

Eau de ballast sortant d’un bateau

Eau de ballast sortant d’un bateau. © W.Carter, CC0, via Wikimedia Commons.

J’ai fait le voyage dans les cales de navires. Une fois dans les eaux canadiennes, les navires ajustent leur poids, selon la charge qu’ils transportent, en se délestant (eaux de lest) d’une grande quantité d’eau provenant souvent de leur pays d’origine. Toute cette eau contient des organismes vivants qui tout à coup débarquent ici. Désormais l’entrée au pays est surveillée. Depuis 2006, le gouvernement canadien a adopté le Règlement sur le contrôle et la gestion de l’eau de ballast, en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada.

Le gobie à taches noires est déjà bien implanté dans le fleuve Saint-Laurent

Ici, je suis heureux comme un poisson dans l’eau! Quelle immensité avec ce majestueux fleuve Saint-Laurent traversant le territoire sur une longueur de 424 km. On me trouve de l’Ontario jusqu’à Rivière-Ouelle. J’occupe aussi les lacs Saint-François, Saint-Louis et Saint-Pierre, des élargissements du fleuve.

Le gobie à taches noires

Le gobie à taches noires.

L’évolution de ma répartition est suivie de près par les biologistes.  Ma présence dans les eaux intérieures (lacs, rivières et ruisseaux) n’est pas souhaitée. Je suis si petit que je peux me faufiler facilement si vous ne faites pas attention. Plusieurs mesures de protection pour éviter que j’envahisse les plans d’eau situés dans l’intérieur des terres ont été mises de l’avant. La réglementation concernant l’utilisation de poissons appâts en est un bon exemple.

De plus, mes œufs et mes larves peuvent être transportés accidentellement d’un plan d’eau à un autre, car ils ne sont pas nécessairement visibles à l’œil nu. Ils se retrouvent dans l’eau des viviers, dans le fond des embarcations, en fait dans tout récipient, seau, glacière, etc., qui contient de l’eau provenant d’un endroit où je me trouve. Comme j’occupe presque tout le fleuve Saint-Laurent, un plaisancier ou un pêcheur pourrait me déplacer vers les lacs et rivières situés dans les terres. Mes œufs et mes larves peuvent aussi être collés sur les débris des plantes. Pour diminuer le risque de propagation, il est essentiel d’inspecter et de bien nettoyer son embarcation, ses équipements de pêche et même sa remorque chaque fois que l’on change de plan d’eau. 

Heureusement, ma nage maladroite ralentit mon expansion dans les cours d’eau à fort débit, mais je n’ai pas dit mon dernier mot, je persévère. Selon les experts, je n’ai pas encore colonisé les ruisseaux et rivières du Québec, mais si cela devait arriver, les résultats pourraient être désastreux pour les espèces indigènes, car je suis très agressif.

Le gobie à taches noires a un impact important sur la chaîne alimentaire

Depuis mon arrivée, j’ai modifié l’écosystème aquatique et les relations des espèces entre elles. Partout où je me trouve, les relations prédateurs-proies ne sont plus les mêmes. Je suis un grand amateur de moules de toutes espèces. En réduisant leur nombre, je modifie la qualité de l’eau.

Je mange aussi les œufs et les larves des espèces de poissons indigènes tels que la perchaude (Perca flavescens), le doré jaune (Sander vitreus), l’achigan à petite bouche (Micropterus dolomieu) et quelques espèces de méné et de fouille-roche. Je ne me contente pas seulement de manger leur progéniture : je chasse les adultes des meilleurs sites de fraie, réduisant ainsi leurs chances de se reproduire.

Ma présence a un effet indirect sur les moules d’eau douce indigènes également appelées mulettes. Celles-ci ont absolument besoin d’un poisson pour compléter leur cycle de reproduction. Les larves appelées glochidiums doivent se fixer sur les branchies ou les nageoires des poissons compatibles pour compléter leur développement. Chaque espèce de mulette est associée à une ou plusieurs espèces de poissons.

Dans le lac Saint-Pierre, je suis désormais au menu de plusieurs espèces de poissons piscivores : doré noir (Sander canadensis), doré jaune, achigan à petite bouche, grand brochet (Esox lucius), barbue de rivière (Ictalurus punctatus) et barbotte brune (Ameiurus nebulosus). Pour trois de ces espèces (achigan à petite bouche, doré jaune, doré noir), je suis souvent devenu la proie principale. J’ai modifié les relations alimentaires dans cet écosystème.

 Moules d’eau douce

Moules d’eau douce. © Annie Paquet.

Je me nourris également de gastéropodes, principale source alimentaire des chevaliers cuivrés (Moxostoma hubbsi). Si je venais à m’installer dans la rivière Richelieu, je pourrais nuire énormément à cette espèce déjà désignée comme menacée. Dans les Grands Lacs, j’ai été reconnu comme porteur de la septicémie hémorragique virale , une maladie infectieuse mortelle chez les poissons. Comme je suis au menu de plusieurs espèces piscivores, je pourrais leur transmettre la maladie. Les biologistes craignent également que ce soit la même chose ici.

Couleuvre d'eau

Couleuvre d’eau.

Je termine tout de même sur une note positive. Ma présence a permis de rétablir les populations d’une espèce qui était menacée d’extinction dans la région du lac Érié en Ontario, la couleuvre d’eau  (Nerodia sipedon). En moins de deux générations, ce reptile a complètement modifié sa diète et je la compose maintenant à plus de 92 %.

Que faire pour me combattre et éviter ma propagation?

Il paraît que…

  • Les EEE se classent au second rang, juste derrière la perte des habitats, dans le palmarès des menaces à la biodiversité.
  • L’introduction d’une EEE dans un milieu est souvent liée aux activités humaines.
  • Les animaux domestiques relâchés dans la nature peuvent devenir des EEE. C’est pourquoi il ne faut jamais relâcher un animal dont on souhaite se départir dans la nature. Consulte la capsule Pleins feux sur… le poisson rouge et les aventures de Bernard pour en apprendre plus sur le sujet.

Pour en savoir plus…

Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP)

Radio-Canada

Transport Canada