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Vers de terre. © Christine Robitaille.

Pleins feux sur… les espèces exotiques envahissantes : les vers de terre

Lors de la dernière glaciation, il y a environ 15 000 ans, nous avons été rayés de la carte! Et vlan, nous sommes disparus des sols du continent nord-américain. Lors de la colonisation de l’Amérique du Nord, mes ancêtres européens sont débarqués. Tout allait bien jusqu’à ce que nous répandions en forêt. Nous serions même une menace pour le sirop d’érable! Nous voilà jugés comme des espèces exotiques envahissantes. Qui aurait pu penser que nous, les vers de terre, aurions un jour été désignés de la sorte?

Des alliés dans le jardin

En milieu agricole, dans les potagers, dans les jardins, nous sommes des alliés indispensables. On nous aime! Nous aérons le sol en creusant des galeries, nous améliorons sa structure, l’eau et l’air y pénètrent et y circulent plus facilement, les racines des plantes poussent plus profondément. Nous enrichissons le sol par nos déjections, nous décomposons la matière organique et nous rendons disponibles les éléments nutritifs du sol.

Vers de terre. © Great Lakes Worm Watch.

Il y a trois grandes équipes de travail dans le sol : les épigés, les endogés et les anéciques. Pour identifier les vers de terre que tu observes, consulte cette clé d’identification .

Les vers de terre de surface!

Vers de terre de l’espèce Dendrobaena octaedra. © Great Lakes Worm Watch.

Les épigés (epi = dessus; geic = terre) occupent uniquement la litière. Ils demeurent à la surface et ils ne construisent pas de tunnels. Ils sont de petite taille (1 à 7 cm) et brun rougeâtre, et leur corps est pigmenté, le dessus est plus foncé que le dessous qui apparaît plutôt beige. Cette pigmentation les protégerait des rayons UV. Les espèces suivantes font partie de ce groupe :

Dendrobaena octaedra

Cette espèce mange principalement des champignons et des bactéries. Son impact sur le sol forestier serait faible.

Lumbricus rubellus

Vers de terre de l’espèce Lumbricus rubellus. © Great Lakes Worm Watch.

Le lombric rose est communément appelé « leaf worm » ou « beaver tail » en anglais. De taille moyenne, il est souvent vendu pour la pêche. Il circule dans la litière et dans les quelques centimètres à la surface du sol minéral. Il ne construit pas vraiment de tunnels permanents comme le font les vers de l’autre équipe de travail. Il se nourrit de champignons et de bactéries autour des racines des plantes du sous-bois, et il ingère aussi de la matière organique. Il a un impact important sur le sol forestier.

Amynthas agrestis

Il s’agit d’une espèce originaire d’Asie, contrairement à toutes les autres espèces qui proviennent d’Europe. Considéré comme extrêmement dommageable, il mesure de 8 à 20 cm de longueur. Il a une apparence brillante. Son clitellumClitellum : région bombée du corps des vers de terre et des sangsues, où se forme le cocon qui abritera les œufs lors de la période de reproduction. est lisse et plus pâle que le reste de son corps. Il est très actif et sensible au toucher; une partie de sa queue peut se détacher au besoin! Il se déplace comme un serpent d’où son nom en anglais de « crazy snake worm ». Il peut se reproduire sans l’aide d’un partenaire! Un seul ver et c’est l’invasion!

Les creuseurs de tunnels!

La deuxième équipe est celle des endogés (endo = dans ou interne; geic = terre). Ceux-ci creusent des terriers horizontaux permanents dans le sol minéral. Selon les espèces, ils mesurent de 2 à 12 cm de longueur. Dépourvus de pigments, ils apparaissent gris bleuté, jaunâtre, rosé ou blanchâtre. Ce groupe se rencontre sous la litière (horizon A). Ils ingèrent la matière minérale et digèrent son contenu (matière organique et microorganismes). Ils se voient rarement à la surface sauf après une pluie abondante, qui leur permet de se déplacer sans risque. Ils sont sensibles à la sécheresse. Ce groupe de vers établit un réseau de galeries permanentes sous la litière qui peut s’étendre jusqu’à 50 cm de profondeur. Les espèces suivantes sont membres de cette équipe :

Vers de terre de l’espèce Aporrectodea caliginosa. © Great Lakes Worm Watch.

Aporrectodea rosea

Le « rosy tipped worm » est une espèce commune de petite taille, qui occupe les potagers et les champs agricoles. On ne connaît pas encore très bien son impact sur les sols en forêt.

Aporrectodea caliginosa

Le « grey worm » est une espèce de grande taille, non pigmentée. Ce vers de terre se rencontre communément dans les potagers et les champs agricoles. Il brasse le sol minéral et augmente ainsi le développement de l’horizon A en forêt.

Des travailleurs efficaces!

Les anéciques forment la troisième équipe de travailleurs du sol. Ces vers mesurent de 8 à 15 cm de longueur. Ils sont brun rougeâtre. Ils vivent dans des terriers verticaux permanents jusqu’à deux mètres de profondeur. Ces terriers n’ont pas de galeries transversales communicantes. Les vers se nourrissent à la surface et transportent sous terre leur nourriture composée des feuilles de la litière. Les vers de terre anéciques sont probablement ceux qui ont le plus grand impact dans les forêts en raison de leur faculté d’enfouir d’importantes quantités de litière à des profondeurs considérables dans le sol minéral.

Vers de terre de l’espèce Lumbricus terrestris. © Great Lakes Worm Watch.

Le plus connu est sans aucun doute Lumbricus terrestris, le lombric terrestre. Il est communément vendu pour la pêche ici et aux États-Unis qui en importe des millions chaque année. Chez nos voisins du sud, il se nomme familièrement le « Canadian crawler ». Le lombric enfouit les feuilles dans son tunnel pour les consommer. Une fois que c’est fait, il remonte en surface les tiges des feuilles, les pétioles, à l’entrée du tunnel où s’accumulent également les crottins. Ce monticule de débris de taille respectable (de 5 cm de diamètre sur 1 à 2 cm de hauteur) est alors bien visible. On peut estimer le nombre de lombric terrestre en comptant le nombre de monticules au sol. Chaque ver vit en solitaire dans son tunnel!

Sol forestier avant l’arrivée de vers de terre. © Josef Gorres, Université du Vermont.

En forêt, nous sommes donc des envahisseurs. Depuis le retrait des glaciers, il y a 11 000 ans, jusqu’à l’arrivée des Européens sur le continent nord-américain, les écosystèmes forestiers, les sols, les microorganismes et les plantes ont tous évolué sans nous! Il n’y avait plus de vers de terre dans la majorité des sols forestiers du Canada et du nord des États-Unis. Nous avons été anéantis lors de la dernière période glaciaire, celle du Wisconsin. Certaines espèces ont survécu un peu plus au sud et ont échappé à l’enfer blanc! Mais comme nous ne sommes pas doués pour les grandes distances, les espèces du sud ne se sont pas ou très peu déplacées vers le nord. Elles ont parcouru à peine quelques centaines de kilomètres durant ces milliers d’années! Il y a donc eu une grande période où nous étions complètement absents des sols de ces forêts situées au nord du 40e degré de latitude.

Sol forestier après l’arrivée de vers de terre. © Josef Gorres, Université du Vermont.

Pour bien comprendre notre impact, laissez-moi maintenant vous faire un petit cours de pédologiePédologie : science fondamentale de l’étude des sols, de leur formation et de leur évolution. 101. Au commencement il y avait les roches, différents types de roches (ignées, sédimentaires, métamorphiques). Ces roches composées de minéraux subissent les effets du climat, elles se font lessiver, user. Avec le temps, de petits morceaux se détachent, s’accumulent et forment une mince couche. Les bactéries, les champignons, une petite graine s’y installent et transforment à leur tour ce milieu qui s’enrichit. Les couches s’accumulent, se superposent et forment un sol. Ces couches se nomment des horizons. Chaque horizon a ses particularités, couleur, texture, taille des particules, etc. On nomme les horizons par une lettre. Ainsi la roche mère qui est à la base, c’est l’horizon R. Au-dessus, il y a les horizons minéraux : A, B et C. Ils sont formés de matière minérale seulement : roches, minéraux, sable, argile, etc. Pour les voir, il faut creuser. Puis en arrivant vers la surface, on trouve les horizons organiques : L, F et H. Ils se nomment organiques, car ils se forment à partir de la matière vivante et ils abritent une faune et une flore importantes.

Les horizons organiques sont en fait des litières à différents stades de décomposition. L vaut pour litière. Cette couche est composée des débris végétaux, les feuilles qui tombent des arbres et des arbustes à l’automne, les plantes herbacées qui sont mortes, les brindilles, etc. On peut reconnaître encore les formes originales, il y a très peu de décomposition. La litière, c’est en fait la couche de feuilles que vous aimez faire virevolter lors de vos promenades en forêt en automne. Sous cette couche ou cet horizon L, se trouve le F. Les feuilles et les brindilles sont encore reconnaissables, elles sont à peine décomposées par les insectes et les champignons. Finalement il y a l’horizon H, pour humus. La matière est vraiment décomposée et on ne peut pas la reconnaître. Elle est souvent mélangée avec l’autre couche minérale en dessous. Cette couche est généralement un peu plus humide.

Comparaison du sol forestier légèrement infesté et lourdement infesté par les vers de terre. © Steve Morthensen, LLDRM.

Selon la nature de la roche mère et du climat, on obtient différents sols. Il existe un système de classification des sols au Canada.

Normalement, dans une forêt, la litière prend de 3 à 5 ans à se décomposer entièrement. Chaque année, les feuilles tombent, elles s’accumulent et on retrouve un lit de feuilles à différents stades de décomposition. Nous, on peut faire le travail en quelques mois! On nettoie la place! Il n’y a plus que des feuilles entières, celles de l’année, les autres ont été ingérées, les horizons F et H n’existent plus. Nous enrichissons l’horizon A avec nos déjections (notre crottin), et le matériel que nous y apportons et ce A s’étend alors plus profondément et modifie à son tour l’horizon B sous lui, qui perd de l’importance. Selon les espèces de vers présentes, les impacts sont plus ou moins considérables.

Comment les vers de terre sont-ils arrivés jusqu’ici de la lointaine Europe?

Avec les colons, les voyageurs qui ont transporté de la terre et des pots de plantes qui devaient contenir nos œufs minuscules. Qui sait, j’ai peut-être des ancêtres qui ont fait la grande traversée bien cachés dans le fond de la cale du bateau avec les bœufs? On trouve maintenant des vers de terre en forêt boréale, à la forêt Montmorency près de Québec et dans le parc national des Grand-Jardins. Or ces milieux sont réputés pour leurs sols au pH acide. Et pourtant, nous sommes là! Débarqués en terre québécoise il y a 500 ans, il est impossible que l’un d’entre nous ait pu se rendre à cette latitude. Nous ne sommes pas des coureurs de fond! Nous faisons environ 10 m de déplacement par an. À ce rythme nous serions seulement à 5 km de notre point de départ.

La fougère botryche petit lutin. © Scott A. Milbum.

Ces endroits sont des territoires de pêche. Et qui dit pêche, dit… ver de terre. Qui n’a pas vidé son contenant de vers dans le bois après une journée de pêche? De plus, les gens qui ont des chalets sur le bord d’un lac, qui font un peu de jardinage, qui empotent et rempotent des plantes, qui achètent de la terre et qui, eux, sont heureux de nous voir dans leur plate-bande, tous contribuent sans le savoir à notre immigration!

En forêt, nous modifions le sol, nous éliminons la litière. Or cette litière représente un habitat pour une multitude d’organismes, des plantes et des animaux. Qui sont les victimes de notre présence? Dans le monde végétal, ce sont principalement des plantes printanières qui occupent les érablières : les trilles (Trillium sp.), le sceau-de-Salomon (Polygonatum sp.), la salsepareille (Aralia nudicaulis). Il y a aussi l’uvulaire à grandes fleurs (Uvularia grandiflora), une plante désignée comme espèce vulnérable au Québec depuis 2005. La botryche petit lutin, Botrychium mormo, une espèce de fougère, figure quant à elle, sur la liste des espèces susceptibles d’être désignée comme menacée ou vulnérable au Québec. Alors que certaines plantes disparaissent, d’autres sont favorisées, tels le petit prêcheur (Arisaema triphyllum) et la sanguinaire (Sanguinaria canadensis).

Écosystème. © Great Lakes Worm Watch.

En décomposant la litière, cette couche de feuilles ne protège plus les graines et les plantules qui sont alors plus sujettes à la sécheresse et à la prédation. Il y a toute une génération de petits arbres qui est ainsi éliminée. Il paraît que nous pourrions être une menace pour les érablières en éliminant la régénération. Nous transportons les plantules et les graines dans nos terriers et nous les dispersons. Selon leur taille, certaines sont détruites alors que d’autres auraient de la difficulté à germer à la suite de leur passage dans notre système digestif.

Nous affectons aussi les champignons, en particulier ceux qui s’associent avec les racines des arbres et les aident dans leur développement. Notre présence leur causerait un stress et ils auraient moins tendance à établir des relations avec les arbres, comme les érables à sucre. De plus, nous transportons leurs spores dans les différents horizons et nous les mangeons aussi!

Un autre effet important concerne le stockage du carbone. La forêt boréale représente une grande réserve de carbone. Notre action libère ce carbone dans l’atmosphère. Et vous le savez sans doute, ce gaz contribue aux changements climatiques.

Paruline couronnée. © Larry Master.

Nous avons un impact sur la diversité (le nombre d’espèces différentes de bactéries) et la densité (la quantité de bactéries par mètre carré) des microbes dans le sol. Ceux-ci voyagent sur notre corps et dans notre corps lorsque nous ingérons de la terre. Les microbes du sol passent ainsi d’un horizon à l’autre, ils diminuent dans la litière et augmentent dans les horizons en dessous.

La litière abrite toute une faune de petits animaux, tels que la salamandre cendrée (Plethodon cinereus), la salamandre maculée (Ambystoma maculatum) et, le crapaud d’Amérique (Anaxyrus americanus), qui s’y réfugient sous les feuilles à l’abri des prédateurs. Il y a une foule de décomposeurs, comme les cloportes et les millipèdes, sans parler des centipèdes qui s’en nourrissent, des larves d’insectes, des araignées et plus encore! Il y a aussi des oiseaux qui fouillent dans ce lit de feuilles mortes à la recherche d’une proie et qui nichent carrément au sol dans la litière, par exemple la paruline couronnée (Seiurus aurocapilla). Sans litière, que deviendront ces espèces et toutes les relations qu’elles entretiennent?

Cloporte. © M. O. Dussault.

Notre présence peut aussi favoriser certaines espèces. Le merle d’Amérique (Turdus migratorius) semble profiter de l’abondance des vers de terre dans les forêts du nord de l’Alberta. Il est plus fréquent là où nous le sommes aussi. C’est la même chose pour les cloportes. Ces petits crustacés se nourrissent entre autres de champignons. L’augmentation du nombre de cloportes a un impact sur ces champignons qui souvent vivent en association avec les racines de certaines espèces d’arbres, comme l’érable à sucre (Acer saccharum).

Une fois que nous sommes introduits quelque part, il est pratiquement impossible de nous déloger. Que faire?

Vous souhaitez participer

Au Canada, les provinces de l’Ontario et de l’Alberta ont entrepris des campagnes de sensibilisation, et des programmes de surveillance invitent les gens citoyens à signaler la présence de vers de terre. Au Minnesota, il est interdit de laisser en forêt les vers utilisés pour une activité de pêche.

Vous souhaitez participer à un programme d’observation des vers de terre? Attentionver . Mais avant tout, si vous pêchez, rapportez votre contenant et déposez-nous dans un potager plutôt qu’en forêt.

Il paraît que…

  • Les vers de terre migrent environ de 5 à 10 mètres par année.
  • La science des sols se nomme la pédologie.
  • On compte 19 espèces de vers de terre au Québec.
  • Dans le monde, il y aurait environ 6 000 espèces réparties dans 25 familles.

Pour en savoir plus…

Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) 

Université de Rennes 1, France – Observatoire participatif des vers de terre

Université de l’Alberta

Ontario Federation of Anglers and Hunters

Université du Minnesota

Smithsonian Environmental Research Center

  • Vidéo (en anglais seulement)