Les arpenteuses printanières de l’érablière
Biologie et comportement
La surveillance exercée au cours des 50 dernières années a permis d’observer plusieurs invasions d’insectes dans les érablières du Québec. Trois espèces de lépidoptères, de la famille des géométridés, étaient en cause. Ces bestioles, aussi connues sous le nom d’arpenteuses, présentent plusieurs caractères inusités dans le monde des insectes. Par exemple, la larve n’a que deux ou trois paires de fausses pattes attachées aux derniers segments de l’abdomen (photo 1). Pour se déplacer, elles projettent leurs pattes thoraciques (les pattes d’en avant) aussi loin que possible, puis elles rapprochent les pattes arrières vers l’avant.
Elles donnent ainsi l’impression de mesurer les objets sur lesquels elles se déplacent, d’où leur surnom d’arpenteuses. Les trois espèces d’arpenteuses les plus répandues au Québec sont l’arpenteuse du tilleul, Erannis tiliaria (Harr.) (photos 2 et 3), l’arpenteuse de Bruce, Operophtera bruceata (Hulst) (photos 4 à 8), et l’arpenteuse d’automne, Alsophila pometaria (Harr.) (photos 9 à 12).
Plusieurs autres espèces d’arpenteuses s’en prennent aussi à l’érable à sucre (photos 1 et 13), quoique dans une moindre mesure. Ces trois défoliateurs, qui sont présents à l’état endémique dans la plupart des forêts feuillues du Québec, se manifestent souvent ensemble, lors des infestations. Jusqu’en 1940, l’arpenteuse du printemps se joignait aussi à eux. Depuis, cette espèce est devenue relativement rare et elle s’attaque surtout à l’orme. Pour des raisons encore inconnues, leurs ravages se limitent à la plaine qui s’étend au sud du Saint-Laurent, entre Montréal et Québec, ainsi qu’à quelques îlots situés le long de la rivière des Outaouais, dans le bassin du lac Témiscouata et la vallée de la rivière Matapédia, de même que sur le littoral nord de la Baie-des-Chaleurs. En dehors des périodes d’infestation, les populations restent faibles.
Au cours d’une même année, ces arpenteuses connaissent quatre stades de croissance : l’œuf, la larve ou chenille, la chrysalide (photo 6) et l’adulte. Seules les chenilles endommagent nos forêts. Les arpenteuses ont un dimorphisme sexuel très prononcé, et le mâle a des ailes beaucoup plus développées que la femelle (photos 3, 8 et 12).
Hôtes
Au cours des 60 dernières années, les arpenteuses du tilleul, de Bruce et d’automne ont provoqué de graves défoliations dans les érablières du Québec où elles s’attaquent surtout à l’érable à sucre. L’arpenteuse du tilleul s’attaque aussi au tilleul, à l’orme, au chêne, au bouleau à papier, au noyer et au pommier. Pour sa part, l’arpenteuse de Bruce affectionne également le peuplier faux-tremble (photo 14) et ne dédaigne pas le hêtre à grandes feuilles. Quant à l’arpenteuse d’automne, on la retrouve souvent sur l’orme, le tilleul, l’érable rouge, l’érable argenté, le chêne rouge et le pommier. Les infestations se répètent tous les dix ans environ.
Détection
On peut détecter la présence des chenilles très tôt au printemps, lorsqu’elles se creusent de petits trous d’alimentation dans le limbe des feuilles (photos 15 et 16). Elles s’en prennent surtout à celles qui ornent le faîte des arbres (photos 17 et 18). Au cours des infestations importantes, la cime des arbres peut être gravement défoliée et le couvert forestier laisse alors pénétrer beaucoup de lumière (photos 19 et 17). Quand les chenilles abondent pendant les mois de mai et juin, leurs excréments tombent sur le sol ou sur les plantes du sous-bois avec un bruit qui rappelle celui de la pluie : c’est là un autre indice de la présence d’arpenteuses. Enfin, les gens qui circulent en forêt vers la fin de l’automne peuvent observer des nuées de papillons mâles qui engendreront les prochaines populations d’arpenteuses (photo 11).
Dégâts
Les infestations d’arpenteuses durent environ deux ans. Par la suite, une virose (une maladie causée par à virus) se développe habituellement dans les populations et contribue à enrayer l’infestation pendant quelques années. Les défoliations graves et souvent répétées que les arpenteuses font subir aux érables à sucre inquiètent évidemment les acériculteurs. Lorsqu’un arbre perd plus de la moitié de son feuillage deux années de suite, sa vigueur et sa croissance peuvent en être réduites. Les conséquences sont particulièrement sérieuses quand les arbres sont affaiblis par l’âge ou par leur position précaire dans un milieu donné, car ils sont forcés de se refaire une feuillaison en puisant à même leurs précieuses réserves nutritives. La mort de rameaux dans le tiers supérieur de la cime dénote généralement une perte de vitalité.
Traitement biologique
Comme les infestations d’arpenteuses disparaissent souvent d’elles-mêmes au bout de deux ou trois ans, on conseille généralement de n’effectuer aucun traitement dans les forêts. Toutefois, si la survie d’une érablière est compromise, on recommande fortement d’avoir recours au Bacillus thuringiensis (B.t.). On peut aussi recueillir des larves mortellement atteintes par ce virus et en préparer une suspension pour la répandre sur d’autres sites où l’épidémie fait rage.
Traitement mécanique
Le Bacillus thuringiensis (B.t.) s’avère aussi utile pour traiter les arbres d’ornementation. Néanmoins, il est préférable de les protéger en enduisant le tronc d’une substance adhésive (Tangle foot) sur une bande de 20 cm de largeur, à l’automne. Ce produit est vendu dans le commerce (photo 20). Les femelles aptères (sans ailes) viendront s’y coller, avant d’avoir pondu leurs œufs, tout comme les mâles. Des jets d’eau répétés sur le feuillage envahi de chenilles peuvent aussi donner de bons résultats.