Les diprionides
Cette famille d’hyménoptères regroupe plus de 120 espèces, dont plus de la moitié appartiennent aux genres Neodiprion et Diprion. Ce sont tous des défoliateurs des résineux étroitement associés à leurs hôtes pour la ponte et l’alimentation, mais ils ne s’en prennent habituellement qu’à une seule essence. Ainsi, les espèces du genre Neodiprion semblent inféodées aux pins; elles attaquent rarement les autres résineux. En Amérique du Nord, on ne dénombre pas moins de 30 espèces de diprionidés qui sont parmi les ravageurs les plus redoutés des forêts naturelles et des plantations de résineux.
Plusieurs diprionidés ont été importés d’Europe, mais ceux qui sont considérés comme les plus dommageables sont indigènes. Au Québec, deux espèces font l’objet d’une surveillance assidue : le diprion de Swaine, Neodiprion swainei Midd. (photo 1), dans les forêts méridionales de pins gris, et le diprion de LeConte, Neodiprion lecontei (Fitch) (photo 2), dans les plantations de pins rouges.
Par ailleurs, au Canada comme aux États-Unis, il n’y a qu’une espèce du genre Diprion : le diprion importé du pin, Diprion similis (Hartig) (photo 3). Cet insecte pullule parfois dans les plantations de pins et les peuplements naturels de pins blancs. Introduit en Amérique du Nord au début du siècle, il n’a causé jusqu’ici que des dégâts légers au Québec, même s’il se reproduit au rythme de deux générations par année, dans le sud de la province. Deux autres espèces exotiques rattachées à la famille des diprionidés et au genre Gilpinia ont une certaine importance au Québec : le diprion européen de l’épinette, Gilpinia hercyniae (Htg.) (photo 4) et le diprion du pin de pépinière, Gilpinia frutetorum (F.) (photo 5).
Particularités
Le dimorphisme sexuel des diprionidés adultes est très marqué. Beaucoup plus petit que la femelle, le mâle ne mesure que de 7 mm à 9 mm de longueur. Il est très foncé, sinon tout noir, et ses antennes sont fortement pectinées ou bipectinées (photo 6). La femelle, d’un brun rougeâtre plus ou moins foncé, mesure de 8 mm à 12 mm de longueur. Elle a un abdomen volumineux, généralement brun jaunâtre, et des antennes en dents de scie (photo 7).
Les adultes, qui volent difficilement, s’installent souvent dans la cime des arbres sous lesquels les cocons ont été tissés. La parthénogenèse est fréquente chez les diprionidés. Quand ce phénomène se produit, la progéniture ne compte que des femelles. L’oviposition, généralement caractéristique, permet d’identifier les espèces. La position des œufs par rapport à l’apex de l’aiguille et la distance qui les sépare sont pratiquement toujours identiques.
Lorsqu’elles sont dérangées par des parasitoïdes ou des prédateurs pendant qu’elles se nourrissent, les larves des diprionidés, tout comme celles des tenthrédinidés, adoptent des attitudes de défense (photo 8). Elles se courbent en forme de « U » ou se dressent sur la partie postérieure de leur corps et se balancent plus ou moins rapidement, en régurgitant des gouttelettes d’une résine qu’elles emmagasinent dans leurs diverticules oesophagiens.
À maturité, les larves des diprionidés mesurent de 18 mm à 25 mm de longueur et sont aussi difficiles à distinguer que les adultes. Pour ce faire, on se base surtout sur les couleurs de la tête et du corps ainsi que sur la disposition des lignes ou les contours des taches foncées visibles sur le thorax et l’abdomen (photos 3, 5, 9, 10, 11, 12 et 13). En général, le nombre de stades larvaires et leur durée varient considérablement selon la nourriture disponible et la latitude.
Les larves éonymphes de la plupart des espèces de « mouches à scie » peuvent rester dans leur cocon jusqu’à ce que leurs réserves nutritives s’épuisent, ce qui peut demander jusqu’à cinq ans. Cette diapause prolongée joue un rôle important dans la dynamique des populations de diprionidés. Elle favorise la survie de l’espèce en permettant la formation d’un bassin d’individus capables de résister à des conditions défavorables pendant plusieurs années. C’est sans doute ce qui explique les infestations aussi soudaines qu’inattendues lorsque les conditions redeviennent propices à l’émergence massive des adultes.t leur durée varient considérablement selon la nourriture disponible et la latitude.
Diprion de Swaine, Neodiprion swainei Midd.
Depuis que le pin gris est recherché pour la fabrication du papier, le diprion de Swaine est considéré comme son ravageur le plus important au Québec. Depuis 1940, quelques épidémies ont ravagé les peuplements purs de pins gris qui croissent dans le Québec méridional, entre les 47e et 48e parallèles. Dans les régions plus septentrionales, le développement de l’insecte semble entravé par le froid. Les secteurs les plus touchés sont ceux situés au nord du réservoir Cabonga et au sud de Clova, où l’on trouve les têtes des rivières Gatineau et du Lièvre, l’ensemble du bassin de la rivière Saint-Maurice ainsi que la partie nord-ouest du lac Saint-Jean et la partie nord du bassin de la rivière Saguenay.
Il est important de mentionner que les secteurs affectés coïncident grossièrement avec les territoires dévastés par les terribles feux de forêt de 1923. Certains brasiers étaient alors si intenses que l’humus a disparu complètement en maints endroits, pour laisser à nu la partie minérale du sol, qui est constituée de roche, de gravier et de sable.
Or, les sols minéraux conviennent très bien au pin gris qui peut croître dans des milieux ouverts et dans des sols pauvres en éléments nutritifs. Les observations faites au Québec ont permis de constater que les épidémies de diprions de Swaine débutent habituellement dans des peuplements isolés qui croissent dans les secteurs plats et sablonneux des plaines alluviales et à proximité des plans d’eau. L’insecte se propage graduellement pour envahir d’immenses territoires (photo 14).
Biologie et comportement
Le diprion de Swaine se reproduit au rythme d’une seule génération par année. Dans les régions les plus septentrionales, les adultes émergent en juin ou en juillet (photos 15 et 16). La femelle pond tous ses œufs, une soixantaine, sur une seule pousse nouvelle de pin gris, généralement très garnie d’aiguilles (photo 17). Elle ne dépose qu’un œuf par aiguille. Fait caractéristique, les œufs déposés sur une paire d’aiguilles sont tous deux à la même hauteur et ils se font face. Dès leur émergence, qui a lieu environ un mois après la ponte, les jeunes larves s’attaquent au feuillage des vieilles pousses à proximité; elles ne touchent pas aux aiguilles de l’année, car elles renferment des substances répulsives et même mortelles (photo 18). Cependant, quand le vieux feuillage vient à manquer, les larves plus âgées dévorent le nouveau.
Lorsqu’elles se nourrissent, les jeunes larves s’agglomèrent près du bout des aiguilles et reculent progressivement vers la base. Au début, elles ne mangent que le pourtour des aiguilles et laissent un filament central près de la gaine. Néanmoins, lorsqu’elles vieillissent, elles dévorent les aiguilles tout entières et, occasionnellement, grugent même l’écorce tendre des rameaux (photo 19). De la mi-septembre jusqu’au début d’octobre, le diprion de Swaine connaît de quatre à sept stades larvaires. Les larves parvenues à maturité (photo 1) se laissent choir dans la litière qui jonche le sol forestier et commencent à tisser le cocon dans lequel elles passeront l’hiver, au stade éonymphe.
Hôtes et dégâts
Le pin gris est l’hôte presque exclusif du diprion de Swaine. Comme nous l’avons déjà mentionné, l’insecte gruge habituellement les aiguilles d’au moins un an. Toutefois, dans la plupart des cas, l’insecte ne détruit qu’une partie du feuillage et, comme l’épidémie ne dure que trois ou quatre ans, les sujets forts survivent sans trop de mal. Néanmoins, les défoliations répétées ébranlent très fortement les sujets chétifs qui meurent souvent trois ou quatre ans après la fin de l’invasion. De plus, lors des épidémies importantes, certains pins sont complètement défoliés et meurent dans l’année qui suit (photo 20).
Répression naturelle
Les populations de diprions de Swaine sont maintenues à un niveau économiquement acceptable, année après année, grâce à l’action combinée de plusieurs facteurs naturels de répression. Comme le développement larvaire se fait souvent à la toute fin de l’été et pendant l’automne, le froid joue un rôle primordial dans la régularisation des populations. Par ailleurs, 23 espèces de parasites de l’œuf de la larve et du cocon du diprion de Swaine ont été identifiées au Québec. Certaines d’entre elles ont été importées, au cours des années 40, pour combattre le diprion européen de l’épinette, mais elles se sont très bien adaptées au diprion de Swaine. De plus, plusieurs coléoptères prédateurs déciment les larves des diprions alors que les fourmis et certains petits mammifères détruisent une bonne partie des cocons enfouis dans la litière. Enfin, les populations larvaires sont parfois affectées par une maladie virale. Jusqu’à maintenant, toutefois, cette maladie s’est avérée très peu virulente.
Diprion de LeConte, Neodiprion lecontei (Fitch)
Cet insecte est le principal défoliateur des jeunes pins rouges cultivés dans les plantations. Lors des épidémies, les arbres peu vigoureux, s’ils sont entièrement dépouillés de leurs aiguilles, meurent après quelques semaines. Les jeunes pins de moins de trois mètres sont les plus menacés. Les infestations, qui ne durent heureusement que trois ou quatre ans, surviennent périodiquement dans les régions situées à l’ouest et au centre du Québec, en Ontario et dans certains États américains, dont ceux situés à proximité des Grands-Lacs, comme le Michigan, le Wisconsin et le Minnesota.
Au Québec, la dernière épidémie remonte à 1975. Pendant les quatre années qui ont suivi, les nombreuses plantations de pins rouges établies dans l’Outaouais, au début des années 70, ont été très endommagées. Depuis le début des années 80, on reboise beaucoup moins avec du pin rouge, car cette espèce est aussi victime d’une maladie grave, le chancre scléroderrien. Cependant, l’insecte est toujours à redouter dans les plantations de pins rouges et de pins gris qui subsistent, particulièrement celles qui sont établies dans les sols sablonneux et exposés au soleil.
Biologie et comportement
Au Québec, le diprion de LeConte ne se reproduit qu’au rythme d’une génération par année. L’adulte émerge généralement de son cocon en juin, mais certains retardataires attendent jusqu’en août. Peu de temps après son accouplement, la femelle pond ses quelques 120 œufs dans des entailles qu’elle pratique dans les aiguilles de l’année ou celles de l’année précédente (photos 21 et 22). Elle peut en déposer jusqu’à 35 par aiguille. L’incubation des œufs dure jusqu’à cinq semaines. Après l’éclosion, les larves, qui se tiennent en colonies serrées, s’attaquent de préférence au vieux feuillage (photo 23).
Au cours de son développement, la larve subit cinq mues et, à partir de la troisième, elle dévore complètement les aiguilles auxquelles elle s’attaque. Leurs colonies regroupent souvent jusqu’à 200 ou 300 individus (photo 24). On comprend donc pourquoi les rameaux sont vite dénudés. Quand elles ne trouvent plus rien à manger sur une branche, les larves en attaquent une autre. Après une période de 40 à 50 jours, les larves parviennent à maturité (photo 2); elles se laissent alors choir sur le sol pour y tisser les cocons dans lesquels elles passeront l’hiver.
Hôtes et dégâts
Le pin rouge est l’hôte de prédilection du diprion de LeConte, mais, en période épidémique, ce défoliateur s’en prend également aux pins gris et sylvestres. Comme plusieurs autres membres de sa grande famille, ce diprion se répand rapidement lorsque les populations augmentent de façon excessive dans une plantation donnée. Après un an ou deux, ils envahissent les plantations situées à proximité du foyer d’infestation initial. Les études menées jusqu’ici indiquent que les plantations les plus vulnérables sont celles établies sur des sols appauvris où le drainage est difficile et la végétation concurrente abondante. S’ils sont entièrement défoliés par le diprion de LeConte, les pins qui croissent dans de telles conditions succombent et meurent dans l’année qui suit (photo 25). Cependant, les sujets qui croissent sur de bons sites et qui subissent une défoliation moins importante se rétablissent assez rapidement; ils s’en tirent avec un ralentissement de croissance passager et, parfois, avec la perte de quelques branches.
Les micro-organismes pathogènes jouent un rôle primordial dans la lutte contre ce diprion. On a même homologué des préparations commerciales concoctées à partir d’un virus à polyèdres nucléaires (Lecontvirusâ) qui permettent de réduire les populations très rapidement (photo 6). Les facteurs climatiques peuvent également favoriser la régression des populations. Par exemple, les froids hâtifs et les chutes de neige automnales déciment les larves, et les chaleurs excessives accompagnées de sécheresse contribuent aussi à mettre fin aux infestations.
Diprion européen de l’épinette, Gilpinia hercyniae (Htg.)
Ne serait-ce que pour son passé tristement célèbre, cet important défoliateur de la forêt boréale québécoise mérite, encore aujourd’hui, une attention particulière et une surveillance continuelle. De 1930 à 1945, le diprion européen de l’épinette (photo 4), qu’on a découvert près d’Ottawa en 1922, a détruit près de 11 millions de mètres cubes d’épinettes blanches dans la seule région de la Gaspésie. L’épidémie, qui a affecté tout l’est du continent (soit quelque 20 000 km²) pendant une quinzaine d’années, s’est soldée par la perte de 36 millions de mètres cubes de bois.
Cet insecte venu d’Europe a été introduit accidentellement et sa progression a été d’autant plus foudroyante qu’il n’avait aucun ennemi naturel sous nos latitudes. À partir de 1935, on lui a livré une lutte biologique épique, en important plusieurs de ses parasites qui se sont généralement bien acclimatés. De plus, bon nombre de parasites et de prédateurs indigènes se sont adaptés à cette nouvelle proie. Fort heureusement, la lutte contre le diprion européen de l’épinette est devenue beaucoup plus facile à compter de 1942, quand un micro-organisme pathogène européen, qui provoque une virose mortelle dans les populations larvaires, est apparu sous nos climats de façon aussi fortuite qu’opportune. Cette maladie continue de décimer les populations qui, en 1997, restaient à un niveau endémique acceptable dans toutes les régions du Québec.