Les tenthrèdes

Généralités

Les tenthrèdes, communément appelées « mouches à scie », constituent la plus importante des familles d’hyménoptères. En Amérique du Nord, on en a dénombré jusqu’ici plus de huit sous-familles, 95 genres et près de 800 espèces. Plusieurs tenthrèdes nous sont familières, car elles s’alimentent souvent en groupes sur les arbres, les arbustes et les plantes herbacées dont nous ornons nos propriétés. Ces défoliateurs s’en prennent surtout aux feuillus. Quelques espèces, comme la tenthrède du mélèze, Pristiphora erichsonii (Htg.) (photo 1) et la tenthrède du sorbier, Pristiphora geniculata (Htg.) (photo 2), consomment les feuilles ou les aiguilles toutes entières. Certaines, comme les tenthrèdes-squeletteuses des chênes et des rosacées, ne grugent que l’épiderme inférieur des feuilles (photo 3). De très nombreuses autres espèces minent la partie des feuilles située entre les deux épidermes; c’est le cas des tenthrèdes-mineuses des bouleaux (photos 4 à 9), des chênes, des ormes, des saules, des peupliers et des aulnes (photo 10). D’autres encore, dont la tenthrède du pétiole de l’érable, percent le pétiole des feuilles. Quelques espèces, enfin, provoquent la formation de galles sur les feuilles, surtout sur celles des saules (photo 11).

Photo 1 – Colonie de larves de tenthrède du mélèze défoliant un rameau de conifère.

Photo 2 – Larve de tenthrède du sorbier.

Photo 3 – Dégâts provoqués par une colonie de larves de tenthrède-limace du chêne, Caliroa fasciata (Nort.).

Photo 4 – Larve de petite mineuse du bouleau, Fenusa pusilla (Lep.), dégagée de son site d’alimentation.

Photo 5 – Feuilles de bouleau gris gravement affectées par la petite mineuse du bouleau.

Photo 6 – Larve de tenthrède-mineuse de Thomson, Profenusa thomsoni (Konow).

Photo 7 – Dégâts caractéristiques de la tenthrède-mineuse de Thomson sur une feuille de bouleau gris.

Photo 8 – Larve de tenthrède-mineuse du bouleau, Messa nana (Klug).

Photo 9 – Larve de grande mineuse du bouleau, Heterarthrus nemoratus (Fall.).

Photo 10 – Larve de tenthrède-mineuse de l’aulne, Fenusa dohrnii (Tisch.).

Photo 11 – Galles attribuées à des tenthrèdes du genre Pontania, sur une feuille de saule.

En général, les adultes ne mesurent que de 2 mm à 10 mm de longueur. Ils sont noirâtres, mais ils ont l’abdomen jaune, parfois orangé, les pattes jaunâtres et les ailes gris fumée (photo 12). Plusieurs les confondent avec des mouches. Grâce à son ovipositeur, qui ressemble à une scie, la femelle peut insérer ses œufs dans le tissu végétal (photo 13). Les larves, dont la longueur varie entre 10 mm et 35 mm, sont de couleurs et de formes très variées (photos 14 à 23). Deux espèces, la tenthrède du mélèze et la tenthrède à tête jaune de l’épinette, endommagent nos forêts et nos plantations de résineux.

Photo 12 – Petite mineuse du bouleau, Fenusa pusilla (Lep.), adulte.

Photos 13 – Femelle adulte de tenthrède à tête verte de l’épinette, Pikonema dimmockii (Cress.), en position de ponte.

Photo 14 – Larve de tenthrède à tête verte de l’épinette parvenue à maturité.

Photo 15 – Colonie de larves de tenthrède chevelue du saule, Trichiocampus simplicicornis (Nort.).

Photo 16 – Larve de tenthrède européenne du peuplier, Trichiocampus viminalis (Fall.).

Photo 17 – Larves de tenthrède rayée de l’aulne, Hemichroa crocea (Geoff.).

Photo 18 – Larves de némate du saule, Nematus ventralis Say.

Photo 19 – Larve de tenthrède à tête jaune du saule, Trichiosoma triangulum Kby.

Photo 20 – Larve d’une tenthrède du genre Dimorphopteryx, sur une feuille de bouleau.

Photo 21 – Larve de tenthrède lanigère du noyer, Eriocampa juglandis (Fitch).

Photo 22 – Larve de tenthrède unilignée, Anoplonyx canadensis Hgtn.

Photo 23 – Larve de tenthrède trilignée, Anoplonyx luteipes (Cress.).

Tenthrède du mélèze, Pristiphora erichsonii (Htg.)

Largement répandue sur le continent nord-américain, cette tenthrède, qui abonde par endroits, a été signalée pour la première fois au Québec, en 1882. Son origine demeure encore douteuse. Au cours du siècle dernier, elle a fait mourir plusieurs peuplements de mélèzes laricins matures, dans l’est des États-Unis et du Canada. Depuis, plusieurs régions du Québec, y compris la zone de la taïga, ont été confrontées à des épidémies importantes, à des intervalles irréguliers. La tenthrède du mélèze est répandue dans toute l’aire de distribution des mélèzes de l’Ouest, subalpins et laricins, tant au Canada qu’aux États-Unis.

Biologie et comportement

La tenthrède se reproduit au rythme d’une génération par année. L’adulte commence à émerger en juin et, selon les conditions climatiques, il peut continuer de le faire jusqu’en août. Cet insecte peut se multiplier par parthénogenèse, c’est-à-dire sans qu’il y ait fécondation, et les mâles ne représentent qu’environ 2 % de la population. La femelle dépose ses œufs un à un, dans des fentes longitudinales pratiquées dans la tige des nouvelles pousses du mélèze (photo 24). Elle en pond habituellement de 75 à 80, mais, parfois, jusqu’à 200. Les tiges qu’elle incise se courbent de manière très caractéristique, en forme de point d’interrogation. Cette déformation est l’indice certain qu’un arbre est infesté (photo 25).

Photo 24 – La tenthrède du mélèze dépose ses œufs dans des entailles pratiquées dans la tige des pousses annuelles.

Photo 25 – Blessée, lorsque la tenthrède du mélèze y a pondu ses œufs, cette pousse s’est courbée en point d’interrogation.

Photo 26 – Dégâts attribuables à de jeunes larves de tenthrède du mélèze qui ont brouté les aiguilles.

Dès leur éclosion, les jeunes larves grugent le pourtour des aiguilles des nouvelles pousses (photo 26). Celles issues d’une même ponte se tiennent en colonies pendant la majeure partie de leur développement, qui dure de 20 à 30 jours, avant de se disperser dans la cime (photo 1). Elles passent par cinq stades larvaires.

Photo 27 – Cocons de tenthrède du mélèze trouvés dans la litière.

Les colonies de larves dévorent habituellement tous les faisceaux d’aiguilles. Elles s’alimentent depuis le bout des branches jusqu’aux fourches, puis elles se dirigent vers les faisceaux d’aiguilles qui poussent à la périphérie d’une branche voisine, où elles recommencent le même processus. Les arbres affectés sont donc défoliés de la périphérie vers le tronc et de haut en bas. À la fin de leur période d’alimentation, les larves descendent sur le sol, puis elles s’enfoncent dans la mousse ou la litière pour y tisser les cocons où elles passeront l’hiver, au stade d’éonymphes (photo 27). Au printemps, la plupart se transforment en pupes, puis en adultes, mais certaines restent en diapause pendant deux ou même trois hivers.

L’adulte, qui mesure 10 mm de longueur, ressemble à une guêpe au corps élancé. Il a les antennes et le corps noirs alors que ses quatre ailes sont généralement transparentes. Une bande transversale, d’un rouge orangé clair très caractéristique, lui orne l’abdomen. La tenthrède du mélèze a les pattes marquées de rouge et de noir (photo 28). Plus petits, les mâles ont des antennes jaunes. La larve a la tête noire et luisante et le corps d’un gris verdâtre terne, plus pâle sur les segments ventraux. À maturité, elle peut mesurer jusqu’à 25 mm de longueur (photo 29).

Hôtes et dégâts

La tenthrède du mélèze s’attaque à toutes les espèces de Larix, tant indigènes qu’exotiques, mais, en Amérique du Nord, c’est le mélèze laricin qui est son hôte favori. Lorsque des populations importantes persistent pendant quelques années, les arbres infestés perdent peu à peu de leur vigueur : leur feuillage devient clairsemé, leur croissance ralentit et leurs branches meurent les unes après les autres (photo 30). Les sujets les plus résistants ne meurent qu’après une suite de six à huit défoliations, modérées ou graves. Cependant, les arbres rabougris, qui végètent sur des terrains pauvres ou secs, peuvent succomber après trois ou quatre années d’attaques consécutives.

La ponte des œufs endommage aussi considérablement les nouvelles pousses qui sèchent, se courbent et meurent graduellement, ce qui freine l’élongation du rameau, réduit la formation de bourgeons et déforme la cime.

Photo 28 – Femelle adulte de tenthrède du mélèze.

Photo 29 – Larves de tenthrède du mélèze parvenues à maturité.

Photo 30 – Des tenthrèdes du mélèze ont presque complètement défolié ces branches de mélèze.

Répression naturelle

Les prédateurs, les parasites et les maladies contribuent généralement à maintenir les populations à un niveau endémique, sans toutefois prévenir les épidémies locales. Par ailleurs, très peu de parasites indigènes sont en mesure d’enrayer la tenthrède du mélèze en Amérique du Nord. Au début du siècle, on en a importé plusieurs, d’Europe surtout, mais seul Mesoleius tenthredinis Morley s’est avéré un tant soit peu efficace.

Les petits mammifères, tels les musaraignes et les campagnols, sont les principaux prédateurs des cocons de la tenthrède du mélèze. Les oiseaux déciment aussi les populations de larves et d’adultes.

Répression chimique

Comme la tenthrède du mélèze se reproduit par parthénogenèse et que sa période d’émergence est fort longue, les insecticides chimiques de contact s’avèrent peu efficaces. Dissimulés dans les aiguilles, les œufs sont difficiles à atteindre. La lutte chimique est donc déconseillée.

Tenthrède à tête jaune de l’épinette, Pikonema alaskensis (Roh.)

Cet insecte indigène est répandu partout au Canada et aux États-Unis, y compris en Alaska. Il ravage surtout les plantations d’épinettes, mais il s’en prend aussi aux jeunes spécimens de cette même espèce qui croissent naturellement en bordure des routes ou qui ornent nos parterres. Cette tenthrède est particulièrement redoutable dans les secteurs où de jeunes épinettes noires, blanches, rouges et de Norvège croissent dans des terrains secs, bien exposés aux rayons du soleil.

Biologie et comportement

La tenthrède à tête jaune de l’épinette ne se reproduit qu’une fois par année. Selon les régions et les conditions climatiques, l’adulte émerge de son cocon de la fin de mai jusqu’à la fin de juin. Il entre en activité au moment où les bourgeons de l’épinette s’ouvrent et perdent leurs écailles. Après l’accouplement, la femelle dépose ses œufs un à un dans une fente peu profonde qu’elle pratique avec sa tarière, à la base des aiguilles des nouvelles pousses ou dans l’écorce tendre qui sépare les aiguilles. Après une dizaine de jours d’incubation, les larves éclosent et commencent à ronger le pourtour des nouvelles aiguilles. Quand elles parviennent à des stades de développement plus avancés, elles dévorent complètement toutes les aiguilles qu’elles trouvent sur leur chemin (photo 31). Pendant la période d’alimentation, qui dure normalement de 30 à 40 jours, les mâles connaissent cinq âges larvaires et les femelles, six. Les jeunes larves se tiennent d’abord en petites colonies, mais, au cours des derniers âges larvaires, elles s’isolent graduellement. Elles parviennent généralement au terme de leur développement vers la fin de juillet ou au milieu du mois d’août. Elles descendent alors sur le sol et s’enfoncent dans la litière pour y construire le cocon dans lequel elles hiverneront au stade d’éonymphe.

Photo 31 – Rameaux de jeunes épinettes noires gravement défoliés par la tenthrède à tête jaune de l’épinette, Pikonema alaskensis (Roh.).

L’adulte, qu’on confond souvent avec une guêpe, mesure de 8 mm à 10 mm de longueur. La couleur de son abdomen varie du jaune paille au brun rougeâtre et même au noir (photo 32). La larve, vert olive foncé, a un aspect cireux et elle a le dos strié de bandes longitudinales gris-vert. Sa tête bien apparente est d’un jaune rougeâtre. À maturité, elle mesure entre 18 mm et 20 mm de longueur (photo 33).

Photo 32 – Tenthrèdes à tête jaune de l’épinette, à l’âge adulte (le mâle est à gauche et la femelle à droite).

Photo 33 – Larve de tenthrède à tête jaune de l’épinette parvenue à maturité.

Hôtes et dégâts

Au Québec, la tenthrède à tête jaune de l’épinette s’en prend surtout aux épinettes noires, mais aussi aux épinettes blanches, rouges et de Norvège. Ses dégâts sont souvent très spectaculaires, car les arbres infestés peuvent être complètement défoliés en l’espace de quelques semaines (photos 34 et 35). Si les jeunes épinettes, qui subissent un tel traitement, réussissent à survivre, leur croissance est fortement ralentie et elles perdent certaines de leurs branches. Les arbres d’ornementation, ceux utilisés dans les haies brise-vent et ceux cultivés dans les pépinières, peuvent aussi subir des dégâts importants. Soulignons toutefois que la tenthrède ravage rarement une plantation tout entière. Habituellement, seuls quelques îlots d’arbres sont gravement défoliés. On constate souvent que les sujets en cause étaient peu vigoureux et qu’ils croissaient sur des sites pauvres ou perturbés ou, encore, sur des pentes exposées au sud.

Photo 34 – Jeune plantation d’épinettesgravement défoliée par la tenthrède
à tête jaune de l’épinette.

Photo 35 – Vue aérienne d’une aire qui a été reboisée avec des épinettes noires, puis gravement défoliée par la tenthrède à tête jaune de l’épinette (photo : Gaston Therriault).

Répression naturelle

Un nombre impressionnant de parasites et de prédateurs sont susceptibles de limiter la pullulation de cette tenthrède. On a répertorié non moins de 50 parasitoïdes, dont 41 espèces d’hyménoptères et neuf espèces de diptères, qui s’en prennent surtout à l’insecte au cours de ses derniers stades larvaires. Les cocons sont décimés par plusieurs prédateurs, dont certains élatéridés et carabidés, des fourmis, des araignées ainsi que de petits mammifères, comme les campagnols et les musaraignes. Au Québec, des champignons entomopathogènes et une microsporidie contribuent aussi à prévenir les épidémies.

En général, les nombreux ennemis naturels de la tenthrède réussissent à maintenir les populations à l’état endémique pendant quelques années. Toutefois, lorsque les conditions du milieu favorisent la prolifération de l’insecte, ses prédateurs agissent souvent trop tard, alors que les larves ont déjà causé des dégâts importants. Pour prévenir les dégâts, il faut soigneusement planifier la mise en terre des jeunes plants. Les travaux de préparation de terrain doivent aussi être adéquats, tout comme ceux effectués pour dégager les plants de la compétition arbustive et herbacée. On sait, en effet, que les sites pauvres en matière organique et en débris de surface constituent de mauvais habitats pour les prédateurs des cocons de la tenthrède à tête jaune de l’épinette. Par contre, dans les plantations où les feuillus abondent, les nombreux parasites de ses œufs et de ses larves peuvent proliférer à loisir.

Répression artificielle

On est parfois forcé d’avoir recours à des moyens de répression chimiques. C’est le cas surtout dans les jeunes plantations qui sont gravement infestées et où les dégâts sont sérieux. Quand l’insecte n’attaque que quelques arbres isolés ou des arbustes ornementaux, il est facile de déloger les larves à la main.